1956 Suez
IL Y A 154 ANS, BAZEILLES"Nous défilions sur le front de l'armée allemande qui nous présentait les armes. Les cuirassiers blancs se tenaient immobiles, sabre haut, raidis dans leurs armures bosselées de balles françaises. C'était beau ! Ah ! c'était beau !"
Voici le récit exceptionnel du dernier survivant de la maison de la dernière cartouche de Bazeilles, le commandant Herre Wyn, l'article date du 1 septembre 1910.
Voici l'interview : Cette maison, c'est la maison de Bazeilles, où une poignée de héros arrêta pendant cinq heures une division bavaroise entière. Il y aura aujourd'hui quarante ans que des soldats français sont tombés, dans un suprême geste de défi, sous la mitraille ennemie. La défense de la maison de Bazeilles Pour les hommes de notre génération, c'est de l'épopée, c'est de la légende. Dans le recul, ce grand geste de folle bravoure s'enveloppe d'une auréole lointaine et s'apparente aux récits fabuleux des temps héroïques. Et voici qu'hier, il se précisa devant moi, il reconquit sa vérité première, sa terrible et simple grandeur. J'avais devant moi le dernier survivant de ceux qui tentèrent l'impossible, qui crurent un instant, dans le vertige de la poudre et du sang, qu'il suffisait de vouloir pour vaincre le commandant Herre Wyn. Celui-ci a connu la fièvre et les angoisses de la lutte dans la maison des Dernières Cartouches. Il est resté le seul témoin de l'admirable épisode. Car des quarante-trois hommes qui sortirent vivants de l'enfer, de Bazeilles, tous se sont allés, sauf 1. Et je l'ai trouvé dans une paisible petite ville, à Provins, où il se repose de son récent voyage en Guyane. Lorsque, brusquement, je lui parlai de l'auberge Bourgerie, il eut un tressaillement. Ah dit-il d'une voix sourde, quel souvenir évoquez-vous ici Pourtant une lueur s'alluma dans ses yeux bleus. Longtemps il demeura pensif. Puis tout à coup d'un ton bref Vous savez dit-il, l'histoire de la journée l'enveloppement de l'armée, la retraite, ou plutôt l'acheminement vers la déroute, et la cohue du flot qui dévalait interminablement, hommes, chevaux et canons, affolé par la poursuite, talonné par ces masses noires qui grouillaient déjà, làbas,toutes proches quatre-vingts bouches à feu crachaient leurs boulets. Les quatre régiments d'infanterie de marine dont je faisais partie se battaient toujours. Comment Pourquoi ? On ne savait plus bien. A midi nous étions devant 1'église de Bazeilles. Il ne restait plus que des débris de mon régiment. Le commandant Lambert venait d'être jeté à terre, la cheville brisée par un éclat d'obus. Il se tenait tout de même debout, accoté à un petit mur. Mes enfants cria-t-il tout à coup, allons vers cette maison - il désignait une auberge déserte - il faut nous dévouer.. protéger la retraite... Je me trouvais auprès de lui avec ce qui restait de mes hommes Deux d'entre eux prennent le commandant sous les bras. Nous franchissons la petite haie de ronces bordant le chemin Nous sommes devant une auberge abandonnée, l'enseigne pendante, la façade posée de biais et «louchant » sur la route. Nous glanons les cartouchières des morts qui nous entourent, et les poches bourrées de munitions, nous entrons. Le commandant Lambert, couché sur une paillasse au long du mur, nous donnait des ordres, d'une voix étrangement calme. M. Herre-Wyn se tut un instant, puis : J’étais chargé continua-t-il, de défendre le grenier. Je faisais le possible : à chaque coup de mon chassepot, je voyais un uniforme sombre s'abattre. Je ne sais pas comment je tirais avec tant de précision, car un tumulte terrible nous entourait. Des flammes s'élevaient partout; les cris de mort, d'agonie, emplissaient la rue. Et chacun de nous semblait trouver une lucidité plus forte à mesure que la mort inéluctable approchait. Auprès de moi un gamin de vingt ans aux yeux bleus tirait avec méthode. Tout à coup j'entendis un cri « Maman ». Je me retournai un instant. L'enfant était renversé, le poing crispé sur son fusil. Il mourait. Bientôt nous ne fûmes plus que cinq debout dans le grenier. Les autres râlaient. Les obus commençaient à tomber sur le toit, â éclater… C'est alors que le capitaine Aubert vint nous rejoindre Un homme terrible, ce capitaine Aubert ! Il tirait là comme à la cible. Derrière une petite haie qui entourait la maison, les cadavres prussiens s'amoncelaient. Des clameurs montaient vers nous : Franzozen ! Rentez-vous ! Rentez-vous ! Tant qu'on eut des munitions on n'y songea point. Mais brusquement, moi-même en plongeant la main dans ma cartouchière, je ne trouvai rien. Rentez-vous, Franzozen ! criaient toujours les Bavarois. Le commandant alors éleva la voix : Mes amis, nous dit-il, vous avez fait tout votre devoir. Vous ne pouvez rien de plus. Alors voilà qu'un caporal, un vieux boucané de l'infanterie de marine, noir de poudre et les yeux fous, grommela furieusement : Nous rendre, commandant Et ceux-là, est-ce qu'ils se sont rendus ? Et il montrait tous nos camarades étendus. Puis faisant volte-face vers les autres, le fusil menaçant : Le premier qui parle de se rendre, je lui brûle la g... ! Puis il retourna à sa meurtrière. Pourtant la position devenant intenable. Les planchers cédaient, les murs s'effritaient. A nouveau, le commandant Lambert prit la parole Combien êtes-vous encore ? On se numérota. 43.. 43 sur 200 ! M. Herre-Wyn continua Enfin, dit-il, tout fut fini. Le commandant Lambert se fit descendre par deux soldats. Il ouvrit la porte, et devant la foule innombrable des Bavarois, un instant immobilisés de stupeur et de respect, il leva son sabre renversé. Nous étions tranquilles. On allait nous fusiller proprement. En effet une ruée furieuse déferla sur nous. Des baïonnettes se croisaient déjà sur notre poitrine, lorsqu'une sorte de géant, dont la poitrine se couvrait de décorations, se précipita entre nous et les soldats prussiens.Il étendit les bras. Ses hommes reculèrent. Alors, lentement, il s'avança vers le commandant Lambert et les deux hommes qui l'accompagnaient, et l'arme au fourreau, avec un large geste, il leur donna l'accolade… C'était le capitaine bavarois Lissignolo.« Messieurs les Français, cria-t-il, bravo Je vous salue. » Près de lui, le capitaine Aubert, le farouche tireur, pleurait. Monsieur, lui dit l'officier allemand, les héros ne doivent pas pleurer. Votre honneur est sauf. Je viens de demander au général, en chef, au prince Frédérick, l'autorisation de vous laisser vos armes. Pourtant vous nous avez fait bien du mal. Une heure après, continua M. Herre Wyn, nos sabres aux côtés, nos fusils sur l'épaule, nous défilions sur le front de l'armée allemande qui nous présentait les armes. Les cuirassiers blancs se tenaient immobiles, sabre haut, raidis dans leurs armures bosselées de balles françaises. C'était beau ! Ah ! c'était beau ! Le vieux soldat demeura un instant l'esprit perdu dans sa rêverie héroïque. Lorsqu'il me regarda., je détournai la tête un peu pour qu'il ne vit pas que mes paupièresétaient rougies.
Voici le récit exceptionnel du dernier survivant de la maison de la dernière cartouche de Bazeilles, le commandant Herre Wyn,
Voici l'interview : Cette maison, c'est la maison de Bazeilles, où une poignée de héros arrêta pendant cinq heures une division bavaroise entière. Il y aura aujourd'hui quarante ans que des soldats français sont tombés, dans un suprême geste de défi, sous la mitraille ennemie. La défense de la maison de Bazeilles Pour les hommes de notre génération, c'est de l'épopée, c'est de la légende. Dans le recul, ce grand geste de folle bravoure s'enveloppe d'une auréole lointaine et s'apparente aux récits fabuleux des temps héroïques. Et voici qu'hier, il se précisa devant moi, il reconquit sa vérité première, sa terrible et simple grandeur. J'avais devant moi le dernier survivant de ceux qui tentèrent l'impossible, qui crurent un instant, dans le vertige de la poudre et du sang, qu'il suffisait de vouloir pour vaincre le commandant Herre Wyn. Celui-ci a connu la fièvre et les angoisses de la lutte dans la maison des Dernières Cartouches. Il est resté le seul témoin de l'admirable épisode. Car des quarante-trois hommes qui sortirent vivants de l'enfer, de Bazeilles, tous se sont allés, sauf 1. Et je l'ai trouvé dans une paisible petite ville, à Provins, où il se repose de son récent voyage en Guyane. Lorsque, brusquement, je lui parlai de l'auberge Bourgerie, il eut un tressaillement. Ah dit-il d'une voix sourde, quel souvenir évoquez-vous ici Pourtant une lueur s'alluma dans ses yeux bleus. Longtemps il demeura pensif. Puis tout à coup d'un ton bref Vous savez dit-il, l'histoire de la journée l'enveloppement de l'armée, la retraite, ou plutôt l'acheminement vers la déroute, et la cohue du flot qui dévalait interminablement, hommes, chevaux et canons, affolé par la poursuite, talonné par ces masses noires qui grouillaient déjà, làbas,toutes proches quatre-vingts bouches à feu crachaient leurs boulets. Les quatre régiments d'infanterie de marine dont je faisais partie se battaient toujours. Comment Pourquoi ? On ne savait plus bien. A midi nous étions devant 1'église de Bazeilles. Il ne restait plus que des débris de mon régiment. Le commandant Lambert venait d'être jeté à terre, la cheville brisée par un éclat d'obus. Il se tenait tout de même debout, accoté à un petit mur. Mes enfants cria-t-il tout à coup, allons vers cette maison - il désignait une auberge déserte - il faut nous dévouer.. protéger la retraite... Je me trouvais auprès de lui avec ce qui restait de mes hommes Deux d'entre eux prennent le commandant sous les bras. Nous franchissons la petite haie de ronces bordant le chemin Nous sommes devant une auberge abandonnée, l'enseigne pendante, la façade posée de biais et «louchant » sur la route. Nous glanons les cartouchières des morts qui nous entourent, et les poches bourrées de munitions, nous entrons. Le commandant Lambert, couché sur une paillasse au long du mur, nous donnait des ordres, d'une voix étrangement calme. M. Herre-Wyn se tut un instant, puis : J’étais chargé continua-t-il, de défendre le grenier. Je faisais le possible : à chaque coup de mon chassepot, je voyais un uniforme sombre s'abattre. Je ne sais pas comment je tirais avec tant de précision, car un tumulte terrible nous entourait. Des flammes s'élevaient partout; les cris de mort, d'agonie, emplissaient la rue. Et chacun de nous semblait trouver une lucidité plus forte à mesure que la mort inéluctable approchait. Auprès de moi un gamin de vingt ans aux yeux bleus tirait avec méthode. Tout à coup j'entendis un cri « Maman ». Je me retournai un instant. L'enfant était renversé, le poing crispé sur son fusil. Il mourait. Bientôt nous ne fûmes plus que cinq debout dans le grenier. Les autres râlaient. Les obus commençaient à tomber sur le toit, â éclater… C'est alors que le capitaine Aubert vint nous rejoindre Un homme terrible, ce capitaine Aubert ! Il tirait là comme à la cible. Derrière une petite haie qui entourait la maison, les cadavres prussiens s'amoncelaient. Des clameurs montaient vers nous : Franzozen ! Rentez-vous ! Rentez-vous ! Tant qu'on eut des munitions on n'y songea point. Mais brusquement, moi-même en plongeant la main dans ma cartouchière, je ne trouvai rien. Rentez-vous, Franzozen ! criaient toujours les Bavarois. Le commandant alors éleva la voix : Mes amis, nous dit-il, vous avez fait tout votre devoir. Vous ne pouvez rien de plus. Alors voilà qu'un caporal, un vieux boucané de l'infanterie de marine, noir de poudre et les yeux fous, grommela furieusement : Nous rendre, commandant Et ceux-là, est-ce qu'ils se sont rendus ? Et il montrait tous nos camarades étendus. Puis faisant volte-face vers les autres, le fusil menaçant : Le premier qui parle de se rendre, je lui brûle la g... ! Puis il retourna à sa meurtrière. Pourtant la position devenant intenable. Les planchers cédaient, les murs s'effritaient. A nouveau, le commandant Lambert prit la parole Combien êtes-vous encore ? On se numérota. 43.. 43 sur 200 ! M. Herre-Wyn continua Enfin, dit-il, tout fut fini. Le commandant Lambert se fit descendre par deux soldats. Il ouvrit la porte, et devant la foule innombrable des Bavarois, un instant immobilisés de stupeur et de respect, il leva son sabre renversé. Nous étions tranquilles. On allait nous fusiller proprement. En effet une ruée furieuse déferla sur nous. Des baïonnettes se croisaient déjà sur notre poitrine, lorsqu'une sorte de géant, dont la poitrine se couvrait de décorations, se précipita entre nous et les soldats prussiens.Il étendit les bras. Ses hommes reculèrent. Alors, lentement, il s'avança vers le commandant Lambert et les deux hommes qui l'accompagnaient, et l'arme au fourreau, avec un large geste, il leur donna l'accolade… C'était le capitaine bavarois Lissignolo.« Messieurs les Français, cria-t-il, bravo Je vous salue. » Près de lui, le capitaine Aubert, le farouche tireur, pleurait. Monsieur, lui dit l'officier allemand, les héros ne doivent pas pleurer. Votre honneur est sauf. Je viens de demander au général, en chef, au prince Frédérick, l'autorisation de vous laisser vos armes. Pourtant vous nous avez fait bien du mal. Une heure après, continua M. Herre Wyn, nos sabres aux côtés, nos fusils sur l'épaule, nous défilions sur le front de l'armée allemande qui nous présentait les armes. Les cuirassiers blancs se tenaient immobiles, sabre haut, raidis dans leurs armures bosselées de balles françaises. C'était beau ! Ah ! c'était beau ! Le vieux soldat demeura un instant l'esprit perdu dans sa rêverie héroïque. Lorsqu'il me regarda., je détournai la tête un peu pour qu'il ne vit pas que mes paupières
Allocution du Lieutenant-colonel (H) Laffitte André
« DIÊN BIÊN PHU – HOMMAGE AUX COMBATTANTS »Avant de vous présenter l’exposition : « DBP Hommage aux Combattants » je souhaite apporter une précision :Contrairement à de nombreux écrivains et historiens dont je respecte les choix et les écrits je considère que la bataille de DBP commence dès le début de l’OPÉRATION CASTOR avec ses premières victimes. Loin de moi l’idée de vous abreuver de chiffres mais il faut prendre en compte les faits suivants me semble-t-il :. 15 tués et 47 blessés soit 62 combattants hors de combat au soir du 20 novembre 1953, pratiquement 1/10 de bataillon.. Entre le 21 novembre 1953 et le 12 mars 1954, veille de la 1° grande offensive viet-minh,Les troupes de l’Union Française ont eu 151 tués, 798 blessés et 88 disparus soit 1.037 combattants hors de combat auxquels il faut ajouter la disparition de 1.800 supplétifs lors du repli de la garnison de Laï Chau soit un total de 2.837 combattants hors de combat, environ l’effectif de quatre bataillons.NOUS NE POUVONS IGNORER TOUS CES COMBATTANTS QUI ONT VERSÉ LEUR SANG POUR DBP.Faire « REVIVRE » l’ensemble des Combattants de Diên Biên Phu quelles que soient leur arme ou leur unité lors de la 70° commémoration de cette terrible et dernière bataille qui mettra un terme à près de cent ans de présence française en Indochine, tel est le but que s’est fixé la Société des Amis du Musée des Parachutistes.Nous avons pensé que l’une des meilleures façons d’honorer la mémoire de ces SOLDATS (dont seule une poignée est encore de ce monde, le plus jeune Simon MARIE ayant 88 ans et est aveugle depuis le 30 mars 1954) la meilleure façon dis-je consisterait à leur redonner VIE GRÂCE à L’IMAGE.Je suis donc partie pendant plusieurs mois à la quête de photos les représentant soit à DBP soit au plus près de DBP dans le temps.Des recherches entreprises auprès des familles lesquelles, malgré le souvenir douloureux que cela leur imposait, ont accepté avec reconnaissance mes demandes, auprès des Unités ayant combattu, des dépôts d’archives, des organes de presse, des associations patriotiques, des Écoles de formation, des collectionneurs privés etc…Toutes les personnes et organismes contactés ont approuvé notre démarche et ont participé gracieusement à ce formidable DEVOIR DE MÉMOIRE, je tiens à le préciser et à les remercier sincèrement et publiquement notamment l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD) ainsi que le Magazine hebdomadaire PARIS MATCH qui nous ont autorisé à exposer les photos dont ils sont propriétaires sans droit d’exploitation, et aussi Monsieur Guy LÉONETTI le Président du Comité France-Indochine pour les précisions techniques et les conseils judicieux qu’il m’a prodigués tout au long de mes recherches et qui m’avait déjà fait l’honneur de participer en tant que conservateur du Musée des Parachutistes à l’organisation et à la réalisation du cinquantenaire de DBP dont il était l’un des principaux organisateurs avec L’Adjudant-chef Michel CHANTEUX.Bien qu’à l’époque la photographie soit une denrée rare notamment s’agissant des photographies en couleurs, les photos récupérées, de qualité technique et de format variables, reflètent la diversité du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient comme l’écrivait le 12 février 1954 le correspondant spécial en Extrême -orient du journal Le Monde dans un article intitulé « Week-End à DBP » je cite : « …extraordinaire mélange de couleurs et de races : Marocains, Annamites, Algériens, Sénégalais, Méos, Tonkinois, Thaïs, Muong et où dans cette foule bigarrée le Français de France finit par faire figure de rareté » fin de citation, il aurait pu rajouter « mais unis autour du même drapeau ».Les 418 photos qui constituent cette exposition ne racontent pas la bataille même si celle-ci est omniprésente dans la plupart d’elles mais aussi dans les regards, ce n’est pas non plus une exposition de photos d’art même si certaines prises dans des conditions extrêmes par les photographes du Service Cinématographique des Armées (SCA) sont de véritables petits chefs d’œuvre.Non ces photos pourraient s’apparenter à celles prises lors de réunions de famille au cours desquelles chacun raconte ses bons souvenirs et les moins bons, ses joies et ses peines et où aussi à l’époque « l’on remontait le Mékong ».Hélas beaucoup de ces garçons reposent à jamais sans sépulture dans cette cuvette : 1.571 tués au 5 mai, il est estimé 600 à 800 tués dans les deux derniers jours de la bataille soit au total 2.300 tués auxquels il convient hélas d’ajouter – toujours une estimation – 1.000 disparus dont les corps n’ont pas été retrouvés ou non pas été identifiés.Nombre de leurs camarades sont morts durant la longue marche ou dans les camps entre le 7 mai et début septembre 1954, et douloureux rappel :Sur les 11.721 soldats de l’Union Française capturés par le Viet-minh, 3920 seulement furent rendus, je cite Erwan Bergot dans Les 170 jours de DBP : « manquent 7801, que sont-ils devenus ? »Nous ne le saurons jamais, on ne peut que le supposer mais qu’Ils sachent, où qu’Ils se trouvent, qu’Ils sont toujours présents dans nos mémoires.Avant de conclure ce très court exposé je vais vous lire le constat d’un responsable dont je citerai la fonction un petit peu plus tard, sombre constat établi dès décembre 1955, je cite :« l’oubli se fit bientôt sur ces combattants qui avaient tant soufferts, qui s’étaient si bien battus et dont l’héroïsme avait eu pour rançon ou la mort ou les dures prisons de l’ennemi.Il y eut plus : leur gloire – cette gloire si méritée – fût estompée, sinon passée sous silence, parce qu’ils l’avaient acquise dans une action de guerre malheureuse et qu’aux regards de l’opinion le critère de la gloire étant la victoire, ils n’y pouvaient prétendre pleinement » fin de citation.Non monsieur le président de la commission chargée de statuer sur les opérations en Indochine en 1953 et 1954.Non les Combattants de DIÊN BIÊN PHU ne sont pas oubliés, ils vivent toujours dans la mémoire de nombreux Français, ils sont et resterons un exemple pour les générations futures. Certainement et même surement le temps finira par effacer leurs noms mais il n’effacera pas leur héroïsme parfois jusqu’au sacrifice suprême et la gloire qu’ils ont acquise mais qui leur a été refusée, cette gloire restera pleine et entière.Au moment où certains s’ingénient à vouloir réécrire l’Histoire il y aura en permanence, j’en suis certain, quelqu’un pour ranimer la flamme de DIËN BIÊN PHU : VOTRE FLAMME CHERS ANCIENS REVIVEZ CHERS ANCIENS le temps de cette exposition.
Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une excellente visite
Général d'armée Elrick IRASTORZA
Libre propos tenu par le Général d’armée (2S) Elrick IRASTORZA,membre de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, à l’occasion de la rentrée solennelle du 30 janvier 2023.
Ukraine : « avons-nous des raisons d'espérer une sortie de crise en 2023 " ?
En une quinzaine de minutes, je vous propose, dans cette communication forcément synthétique et inévitablement clivante, de rechercher, dans les racines de ce conflit et la volonté des différentes parties prenantes d’y mettre fin, des raisons d’espérer, ou pas, une sortie de crise au cours des prochains mois.
§§§§
Le 28 juillet 1914, les Français respirent. La justice acquitte enfin Madame Caillaux, mettant un terme à un feuilleton qui les aura maintenus en haleine pendant quatre mois . 6 jours plus tard, l’Allemagne déclare la guerre à la France : 20 millions de morts.
Le 30 septembre 1938, Édouard Daladier, est accueilli au Bourget par une foule en liesse à son retour de Munich : à son « Ah les cons, s’ils savaient » fait écho le « I believeit is peace for our time » de Chamberlain : 60 millions de morts.
Le 9 novembre 2022, 52e anniversaire de la mort du Général de Gaulle, le Président de la République présente sa vision stratégique pour la France. Mais le même jour, à 20h, Didier Deschamps égrène, sur toutes nos chaînes, la composition de l’équipe de France. Inconscience, ou impréparation mentale face à des bouleversements dont ils n’ont pas idée, les Français ont préféré se réfugier dans l’euphorie du sport.
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Les causes du conflit n’augurent rien de bon car il en va des crises comme des arbres,plus leurs racines sont profondes, plus elles sont vigoureuses...
Depuis le baptême, à la fin du 1er millénaire, de Vladimir 1er le Grand, le coeur de la Russie orthodoxe bat à Kiev, ce qui n’empêcha l’URSS de détruire, en 1935, l’église de la Dîme où il fut inhumé ! Pendant des siècles, la tutelle sur ces populations oscilla entre les empires périphériques jusqu’au rattachement à la Russie en 1654. Jusqu’alors, la sphère ukrainienne n’englobait ni les provinces russophones du Donbass, ni, bien sûr la Crimée.
Le pays ne fut indépendant pour la première fois que de 1917 à 1922, jusqu’à la création de l’URSS. Le souvenir du traitement inhumain que lui infligea Staline et des grandes famines de 1932-1933 (4 à 6 millions de morts), fit qu’en 1941, une partie de la population accueillit les Allemands à bras ouverts. Le dirigeant nationaliste ukrainien,Stephan Bandera, en profita pour déclarer une très éphémère indépendance et 220 000 Ukrainiens se battirent aux côtés des troupes nazies, contribuant à la Shoa par balles aux côtés des einsatzgruppen. Mais la grande majorité des Ukrainiens se lancèrent dans une résistance qui leur coûta 7 des 26 millions de victimes soviétiques du Nazisme.
En 1954, à l’occasion du 300e anniversaire de son rattachement à la Russie, Khrouchtchev récompensa ce bon élève de la classe manifestement dénazifié, en lui rattachant la Crimée.
Mais il convient de se souvenir, également, qu’à partir de l’année suivante, le Pacte de Varsovie dont l’Ukraine, fit peser sur l’Europe de l’ouest, pendant 36 ans, une menace mortelle qui engendra une ruineuse course aux armements pour contrer ses missiles nucléaires, ses 120 000 chars d’assaut et engins blindés, ses 42 000 canons et ses 7200 avions de combat..
Le 24 août 1991, le pays recouvra son indépendance. Pour sauver les dernières apparences d’un empire multiséculaire en voie de dislocation, la Russie signa avec l’Ukraine et la Biélorussie, 17 jours avant la dissolution de l’URSS, les accords de Minsk,constitutifs de la Communauté des États Indépendants, sorte de confédération des anciennes républiques soviétiques, à l’exception des états baltes.
Trois ans plus tard, suite au mémorandum de Budapest, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie, achevèrent le transfert de l’armement nucléaire soviétique à la Russie contre une garantie de sécurité donnée par les USA, la Grande Bretagne et cette même Russie.
Perçue comme une dérive européiste, la révolution orange de 2004 puis surtout celle de Maidan, en 2014, réveillèrent le clivage entre les populations ukrainiennes du nord ouest plutôt tournées vers l’Occident et celles du sud-est plutôt tournées vers la Russie et menèrent tout droit à la dissidence des provinces russophones.
En mars 2014, la Crimée proclama son indépendance et vota huit jours plus tard son retour à la mère patrie. Le cadeau de Khrouchtchev avait tenu 60 ans... Simultanément, le Donbass s’embrasait, la Russie s’impliquant dans cette guerre civile par le truchement de la Société de Sécurité Privée Wagner.
En 2014 puis 2015, l’intercession de François Hollande et d’Angela Merkel, n’y changea rien et les combats continuèrent en dépit des accords de Minsk I et II, les Azov n’ayant rien à envier aux Wagner en termes d’atrocités.
La poursuite de la dérive atlantiste du pays puis son départ de la Communauté des États Indépendants en 2018, furent alors perçus par Moscou comme une véritable trahison et la vénération portée par une partie de la population à Stephan Bandera raviva le procès en nazification ! Le président Zélenski déclarait encore récemment que « Stephan Bandera est un héros pour une partie des Ukrainiens et que c’est une chose normale et cool » ; mais il trouvait quand même « not right » que des lieux publics puissent porter son nom…
Le 21 février 2022, la Russie prétextant le non respect des accords de Minsk par l’Ukraine, reconnaissait l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk et signait un accord d’entraide qu’elle appliqua 3 jours plus tard en déclenchant son opération militaire spéciale.
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La Russie de Vladimir Poutine est incontestablement l’agresseur.
Quand on lui faisait remarquer que l’Entente avait une part de responsabilité dans la première guerre mondiale, polémique qui dure encore, Clemenceau répondait : « Que je sache ce n’est pas la Belgique qui a envahi l’Allemagne ! ».
Pour les Russes, la dislocation de l’URSS, fut un véritable naufrage. Vladimir Poutine, formé à l’école du KGB, ne supporta pas cette humiliation ni, plus tard, la dérive de l’Ukraine vers l’Occident. Restait à choisir le moment et la façon de châtier les traîtres.L’Europe occidentale, trop occupée à engranger les dividendes de la paix depuis 1991 , ne présentait pas une réelle menace. Les USA, c’était plus sérieux ! Mais l’élection d’un nouveau président, dans des conditions qui avaient fissuré l’unité américaine, puis l’achèvement, dans le chaos, du retrait d’Afghanistan entamé par Donald Trump, lui offrit la fenêtre d’opportunité. Restait le choix du mode d’action ? Et quoi de mieux, pour boucler l’affaire en trois jours, qu’un bon vieux raid blindé, comme dans le temps, contre Budapest et Prague, doublé d’une opération héliportée en banlieue nord de Kiev ? Vous connaissez la suite.
Pour les anti Zelensky, celui-ci, l’a bien cherché en poursuivant une politique de divorce dont les effets étaient largement prévisibles et en laissant perdurer, voire en encourageant, les combats du Donbass, se pensant sans doute protégé par la garantie de sécurité accordée par les USA et la Grande Bretagne dans le mémorandum de Budapest, .
Pour les anti OTAN, qui oublient que c’est notre seul traité de défense collective,c’est la faute des Américains et de la servilité des Européens à leur égard. Tous ont trahi leur promesse informelle de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est en contrepartie de la dissolution de l’URSS.
Si les buts de guerre des deux belligérants sont globalement connus, deux questions restent cependant en suspens :
La première : que veulent exactement les Occidentaux au terme de ce conflit qui ne menace pas directement leur intégrité territoriale ?
- Une Russie paria, recroquevillée sur les 17 millions de km² qui en font le pays le plus vaste du monde, une sorte de Corée du Nord bis mais s’étendant sur 11 fuseaux horaires, peuplée de 6 fois plus d’habitants, ayant un PIB 70 fois supérieur, seule puissance capable, avec la société Space X d’Élon Musk, de ravitailler régulièrement l’ISS, et possédant 6000 têtes nucléaires ?
- Une Ukraine laminée ne pesant plus rien sur la scène internationale et générant,une immigration massive vers l’occident ?
D’où la seconde question : jusqu’où peut-on aider l’Ukraine à ne pas, tout ou trop perdre, sachant que si le conflit s’éternise, les chars sans équipage et les canons sans servant ne suffiront plus et, qu’un jour ou l’autre, il faudra bien envoyer les combattants et les logisticiens qui vont avec, pour peu que les Français acceptent que leurs soldats aillent mourir pour Kiev et que cette décision soit avalisée par le parlement conformément àl’article 35 de la Constitution.
J’entrevois 3 issues possibles, sachant que le renoncement de la Russie que la communauté internationale appelle de ses voeux et le retour à la situation ante, ne me semble guère possible sans l’implosion préalable de l’oligarchie poutinienne.
Une issue maximaliste, la fuite en avant de la Russie jusqu’aux frontières des pays de l’OTAN. Cela me paraît peu probable compte-tenu d’un risque d’embrasement apocalyptique.
Une issue minimaliste : l’indépendance, assortie de la neutralité, des deux républiques populaires sécessionnistes de Donetsk et Lougansk. Difficile de croire que Poutine ait fait tout ça rien que pour ça, mais sait-on jamais ?
Une issue médiane :
- l’indépendance assortie de la neutralité des deux républiques du Donbass.
- la neutralité de l’Ukraine, son adhésion à l’UE mais pas à l’OTAN.
- la clarification de la situation de la Transnistrie et de la Moldavie .
- la réalisation d’une continuité territoriale au moins jusqu’au canal Nord criméen pour faciliter l’accès de la Russie à la Crimée par l’isthme de Perekop et en sécuriser le ravitaillement en eau douce. Cela correspond en gros, à la zone envahie actuellement. Je crains fort que ce ne soit une base de discussion permettant à la Russie de ne pas connaître une nouvelle humiliation et à l’Ukraine de préserver l’essentiel dont la façade maritime d’Odessa.
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Alors, « avons-nous des raisons d'espérer une sortie de crise en 2023 ? » ?
Au cours des prochains mois tout sera une question de volonté, or tout le monde n’a pas le même agenda !
- De quelle volonté feront preuve les deux belligérants pour trouver une sortie de crise politiquement et humainement acceptable ? L’entêtement de Poutine est tout aussi inquiétant que l’obstination de Zelenski à vouloir étendre le conflit à l’occident pour rééquilibrer un rapport de force, démographique, économique et militaire défavorable et assurer sa survie face à son ex grand frère.
- De quelle volonté feront preuve les USA dont le centre de gravité des préoccupations stratégiques s’est clairement déplacé vers le Pacifique, pour abréger un conflit dont la prolongation, en affaiblissant la Russie, mais aussi l’Europe, ne les dessert pas fondamentalement ?
- Est-ce que les dirigeants européens, pris dans l’engrenage de sanctions dont ils ne sortiront pas indemnes, auront la volonté d’exercer, d’une seule voix, une pression crédible sur les deux belligérants pour en finir avec cette folie mortifère et ses conséquences économiques désastreuses ?
- De quelle volonté vont faire preuve la Chine, l’Inde, le Pakistan et le Japon, soit 40 % de la population mondiale, pour éviter un cataclysme qui ralentirait leur expansion économique et raviverait des contentieux régionaux plus ou moins en sommeil ?
- Les institutions internationales de maîtrise et de condamnation de la violence,l’ONU en tête, sont-elles encore capables d’un minimum de volonté, alors que certaines grandes puissances ont tout intérêt à un pourrissement qui conduira inévitablement à une recomposition du Conseil Permanent du Conseil de Sécurité. Quant à la Cour Pénale Internationale, les médias russes ont déjà rejeté vertement toute traduction de leurs dirigeants pour crimes de guerre.
- Est-ce que les pays membres de l’OTAN, auront la volonté de privilégier les dispositions pacifiques des articles 1 et 2 du traité de l’Atlantique Nord, sachant qu’à ce jour, aucune des actions décrites à son article 6, ne justifie la mise en application belligène de son article 5 ? Auront-ils également la volonté de faire clarifier par la Turquie, pays membre depuis 1952, l’ambiguïté de ses relations avec la Russie, ambiguïté dont l’Arménie pourrait bien faire les frais.
- Est-ce que nos médias auront la volonté d’en finir avec une chasse au scoop amplificatrice d’émotion au détriment de la raison ?
- Enfin, est-ce que nos opinions publiques auront toujours la volonté, de dérèglements économiques successifs en privations croissantes, de défendre, quoi qu’il leur en coûte, le principe de liberté des peuples à vivre en paix dans des frontières sûres être connues, alors qu’aucune menace directe ne pèse à nos frontières ?
J’en doute !
Le conflit va durer en 2023, en se maintenant sous le seuil de l’embrasement général,notamment nucléaire ! D’ici là, entre syndrome munichois et rodomontades, nos dirigeants vont devoir garder leurs nerfs, entre fermeté, défense de nos principes fondamentaux et préservation de l’intérêt général, ne pas se laisser porter par la guerre comme le bouchon sur la vague, et se rappeler qu’il est de leur devoir de proposer inlassablement des solutions politiques acceptables par tous.
« Maintenant, il va bien falloir gagner la paix, ce sera encore plus difficile...surtout avec nos alliés » fut, d’après le général Mordacq, une des premières réactions de Clemenceau,le 11 novembre 1918.
Mettre un terme au conflit ne suffira pas.
Le monde né de l’effondrement du pacte de Varsovie, il y a 30 ans, est en train de disparaître sous nos yeux. 2023 pourrait bien nous offrir l’esquisse de ce que sera celui de demain...
Conférence par José Maigre Charles de Foucauld
Charles de Foucauld (1858-1916) De la dissipation à la Sainteté Conférence UNIPOP 16-02-2023 PWP n°1 Titrage L’ermite de Tamanrasset (1907) photo colorisée)
1. En guise d’introduction
Issu d’une vieille famille de la noblesse périgourdine qui remonte aux croisades, le vicomte Charles de Foucauld a connu mille vies, toutes plus romanesques les unes que les autres. Avec toujours le même fil rouge, une quête d’absolu jamais assouvie. Quelques mois après sa canonisation, il continue de fasciner et d’interpeller une époque troublée et incertaine de son avenir, en quête de nouveaux repères. PWP n°2 le blason familial et leur fière devise
Élève parfois médiocre, officier de cavalerie dissipé, explorateur et géographe brillant, moine trappiste en Ardèche et en Syrie, jardinier à Nazareth, prêtre, ermite au Sahara, spécialiste de la civilisation touareg, avant de mourir assassiné, Charles de Foucauld s’est beaucoup raconté à travers ses très nombreuses lettres à sa famille, ses amis, ses supérieurs, ses « cahiers » où il consigne ses réflexions quotidiennes ou encore ses publications scientifiques. Son existence hors du commun a suscité pas moins d’une trentaine de livres, plusieurs films et deux bandes dessinées. Sa famille spirituelle rassemble aujourd’hui vingt groupes comprenant plus de 13.000 membres à travers le monde. Tout ce qui précède mérite qu’on s’intéresse de plus près à cette personnalité d’exception. PWP n°3 l’ermite du Hoggar
2. Deux orphelins choyés par leur grand-pèreLa vie de Charles de Foucauld est marquée par une succession de deuils dès sa prime enfance. Sa mère, Élisabeth Beaudet de Morlet, est issue de la noblesse lorraine, ce qui n’a pas empêché son grand-père républicain de » faire fortune pendant la Révolution. Élisabeth de Morlet épouse en 1855, le vicomte Édouard de Foucauld de Pontbriand, inspecteur des forêts. De leur union, naît en juillet 1857 un1er enfant, prénommé Charles, qui meurt à l'âge d'un mois. Leur deuxième fils naît à Strasbourg le 15 septembre 1858, dans la maison familiale située à l'ancien emplacement de l'hôtel particulier du maire Dietrich, où fut chantée pour la première fois La Marseillaise de Rouget de Lisle en 1792. L'enfant reçoit le même prénom que son frère aîné.
Quelques mois après sa naissance, son père est muté à Wissembourg. En 1861, Charles est âgé de trois ans quand naît sa sœur Marie dont il sera toujours très proche en grand frère protecteur... Sa mère Élisabeth, profondément catholique, les éduque tout petits dans la foi chrétienne, favorisant déjà les nombreux actes de dévotion et de piété. Hélas, elle meurt d'une fausse couche le 13 mars 1864, suivie dans la tombe de son époux, atteint de neurasthénie, on dirait aujourd’hui d’une dépression profonde, le 9 août suivant. PWP n °4 Charles avec sa mère et sa petite sœur Les deux orphelins sont confiés à leur grand-mère paternelle, la vicomtesse Clothilde de Foucauld, mais celle-ci meurt peu après d'une crise cardiaque ! Les enfants sont alors recueillis par leurs grands-parents maternels, le colonel Beaudet de Morlet et sa seconde épouse (il était veuf), qui vivent à Strasbourg. Le colonel de Morlet, ancien polytechnicien et officier du génie en retraite, va éduquer avec beaucoup d'affection et de compréhension ses petits-enfants. Charles de Foucauld écrira de lui plus tard : « Mon grand-père dont j'admirais la belle intelligence, dont la tendresse infinie entoura mon enfance et ma jeunesse d'une atmosphère d'amour dont je sens toujours avec émotion la chaleur ». PW n°5 et 6 Le colonel de Morlet et son petit-fils, Charles et « Mimi » Ils vivent tous heureux en famille à Strasbourg jusqu’à la guerre de 1870.
Charles a suivi sans difficulté dans une école religieuse son enseignement primaire. A 10 ans, il entre en 1868 en sixième au lycée de Strasbourg. Il vient de passer l’été chez sa tante paternelle, Inès Moitessier, à la forte personnalité –contrairement à son frère- et épouse d’un riche banquier, dans son château de l'Eure. Elle se sent responsable de son neveu. Sa fille Marie Moitessier (future Marie de Bondy) devient l'amie de Charles de Foucauld, de huit ans son cadet. C'est une fervente pratiquante, qui entretient une relation très proche avec son cousin Charles, jouant un rôle de grande sœur attentionnée auprès de lui. Son rôle sera essentiel quand il retrouvera la foi à l’âge adulte, on va en reparler. PWP n°7 et 8 Mme Moitessier et sa fille Marie.
De tempérament introverti et parfois colérique, Charles est souvent malade et a déjà besoin de cours particuliers. Mais il manifeste très tôt une vive curiosité intellectuelle et dévore les livres. En 1870, la famille de Morlet fuit la guerre entre la France et la Prusse et se réfugie à Berne en Suisse. À la suite de la défaite, n’acceptant pas de vivre dans une Alsace soumise à l’empire allemand, la famille s'installe à Nancy en octobre 1871. PWP n°9 et 10 Charles ado et la maison de Nancy Charles de Foucauld entre alors en troisième au lycée public. Il s’y lie d'amitié avec Gabriel Tourdes, lui aussi boulimique de lectures, qui restera pour Charles l'un des amis les plus fidèles de sa vie. Il fera carrière dans la magistrature et restera toujours en contact avec Charles, même s’il n’est pas croyant. Ils se reverront à plusieurs reprises, et la dernière fois à Saint-Dié en 1913 où Gabriel était juge d’instruction.Charles fait sa première communion en avril 1872.
En octobre 1873, alors qu'il est en classe de rhétorique, la 1ère d’aujourd’hui, il commence à s'éloigner de la foi catholique, avant de devenir agnostique, sans doute sous l’influence de ses professeurs marqués pour la plupart par le positivisme, indifférents au fait religieux, voire laïcs militants. Charles affirmera plus tard : « Les philosophes sont tous en désaccord. Je demeurai douze ans sans nier et sans rien croire, désespérant de la vérité, ne croyant même pas en Dieu. Aucune preuve ne me paraissait évidente. » Cette perte de la foi se double d'un mal-être : il se trouve alors « tout égoïsme, toute impiété, tout désir de mal, j'étais comme affolé »...confiera-t-il après sa « conversion ».
3. Un étudiant dilettante, un jeune officier indiscipliné
Le 11 avril 1874, sa cousine Marie épouse Olivier de Bondy, et il se sent quelque peu abandonné pars celle qui était sa confidente et son soutien affectif. Quelques mois plus tard, en août 1874, Charles de Foucauld obtient son premier baccalauréat avec mention bien, sans avoir travaillé outre mesure dans les disciplines scientifiques. Son grand-père, surpris mais ravi qu’il envisage une carrière militaire, l’envoie à l'école Sainte-Geneviève, tenue par les jésuites et réputée pour l’excellence de ses résultats –le « Ginette » de Versailles d’aujourd’hui- et alors encore située à Paris dans le Quartier latin, afin de préparer le concours d'entrée à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr. Charles d’emblée s'oppose à la sévérité de l'internat et décide d'abandonner toute pratique religieuse. Il obtient son deuxième baccalauréat en août 1875. Mais il est exclu du lycée pour « paresse et indiscipline » en mars 1876. PWP n°11 Chez les « Postards » Il retourne alors à Nancy, où il suit les cours d'un précepteur, tout en poursuivant ses lectures avec Gabriel Tourdes pour « jouir d'une façon complète de ce qui est agréable au corps et à l'esprit ». Ils ne s’interdisent aucun auteur, même pas les petits maîtres érotiques...
En juin 1876, Charles est reçu à Saint-Cyr, où il est admis très honorablement à la 82e place sur 412. Il va être l'un des plus jeunes de la promotion de Plewna, à laquelle appartiennent, entre autres, Philippe Pétain, futur maréchal de France, et de nombreux futurs généraux de 14-18, mais aussi Antoine de Vallombrosa, marquis de Morès... un véritable aventurier, jouisseur et joueur, futur capitaine d’industrie et antisémite forcené avec Drumont, qui finira assassiné dans le désert saharien en 1896. Il sera durant trois années un camarade de chambrée à St-Cyr, et - surtout à Saumur- un mauvais génie pour Charles. Il a dix-huit ans quand son grand-père l’émancipe, non sans inquiétude ; devenu majeur, Charles peut alors profiter d'un important héritage et commencer à le dilapider, ce dont il ne va pas se priver quand il aura quitté Saint-Cyr ! PWP n° 12, 13 et 15 Cyr, Charles et Vallombrosa A son incorporation, il a failli être refusé et réformé pour obésité précoce, mais il s’en vanterait plutôt ! PWP n°14 Planche de Jijé
Saint-Cyr va l’obliger à perdre du poids grâce au « décrassage » militaire, à l’ordre serré, aux nombreux exercices et marches, de jour comme de nuit. Poursuivant ses études malgré son peu d'assiduité au travail, il est repéré par l’encadrement et souvent puni, mais sans gravité. Charles fut à la « Spéciale » un camarade apprécié, encore un peu rond et jovial, mais trop nonchalant. Celui qui le décrira le mieux, c’est un autre de ses vieux et fidèles amis François-Henry Laperrine…qui n’est pourtant pas de sa promo, mais de celle des Zoulous qui intégra St-Cyr lorsque celle de Plewna la quitta : « Bien malin celui qui aurait deviné dans ce jeune saint-cyrien gourmand et sceptique, l’ascète et l’apôtre d’aujourd’hui. Lettré et artiste, il employait les loisirs que lui laissaient les exercices militaires à flâner, le crayon à la main, ou à se plonger dans la lecture des auteurs latins et grecs. Quant à ses théories et à ses cours, il ne les regardait même pas, s’en remettant à sa bonne étoile pour ne pas être séché ». 1 Il est vrai que l’Art militaire ne l’intéressait guère et on peut se demander ce qu’il faisait là, mais il était doté d’une mémoire prodigieuse qui l’aidera à passer tous ses examens.
En seconde année, il fut retenu –et pourtant les places étaient chères- dans l’escadron de St-Cyr qui préparait les Saint-Cyriens à devenir officiers dans la cavalerie. Charles de Foucauld se confie régulièrement à son ami Gabriel Tourdes, auquel il décrit son ennui profond à Saint-Cyr, et évoque avec nostalgie sa vie auprès de son grand-père. La santé de ce dernier se détériore, et il meurt le 3 février 1878. Charles de Foucauld confie mélancoliquement à Gabriel sa douleur : « On m'enlève du même coup ma famille, mon chez moi, ma tranquillité, et cette insouciance qui était si douce. Et tout cela je ne le retrouverai plus jamais ». Charles de Foucauld termine sa scolarité saint-cyrienne de façon médiocre (333e sur 386) en ayant collectionné les jours de punition, et ce sera pire à Saumur. Il décrit à Gabriel Tourdes son ennui et sa vision de l’École Spéciale Militaire : « Tu me demandes si, en quittant Saint-Cyr, je ne sais s'il faut rire ou pleurer : Foutre ! Oui ! Je le sais : il faut rire, et terriblement, et furieusement, c'est effroyable : tu ne te figures pas quel enfer est Saint-Cyr ». Oui, mais il y a perdu 20 kg ! Et, quoiqu’il en dise il en gardera de rares bons copains et « l’esprit promo » toute sa vie. Il passe son été chez sa tante à lire, fumer, boire et manger sans modération, avec quand même quelques promenades à cheval et des parties de chasse. Inès Moitessier supporte de plus en plus mal la veulerie –c’est son mot et il est dur- de son neveu, attiré en plus par les femmes de petite vertu...ce qui est impardonnable aux yeux de cette catholique intransigeante !
Son année saumuroise fut catastrophique. Les sous-lieutenants y sont en école d’application avec beaucoup plus de liberté qu’à Saint-Cyr et seulement deux par chambre et non en vaste dortoir comme dans l’antique Maison royale de Saint-Louis. Et, hélas, Vallombrosa partage la chambre du « père Foucauld »...comme tout le monde l’appelle. Non content de lui soutirer constamment de l’argent, son « colocataire » partage ses repas fins, ses virées en ville, ses bouteilles de champagne à foison et ses cigares, et aussi quelques conquêtes féminise faciles. Autant dire, qu’ils sont tous les deux très mal vus par l’encadrement et collectionne des jours d’arrêt. Foucauld est un bon cavalier, mais passer 11 heures par jour à cheval –sans compter les cours d’hippologie qui le barbent- c’est trop pour lui ! Il y laissa le souvenir impérissable de celui qui fut porté deux fois déserteur : la 1ère pour aller fêter les 18 ans de sa chère sœur « Mimi », toujours de sensibilité un peu maladive, (on lui avait refusé la permission pour y aller), et la seconde pour vagabonder pendant plusieurs jours dans la campagne angevine ! PWP n°16 et 17 Mimi jeune fille et l’épisode du vagabondage vu par Jijé. Pas étonnant qu’il termine dernier de sa promo, 87e sur 87 ! Au sortir de Saumur, le commandant-en-second, le colonel Jacquemin, lui fait cette remarque sarcastique « Vous sortez le dernier, j’espère que ce rang ne vous suivra pas monsieur ». Le futur général de cavalerie aurait été bien surpris si on lui avait dit qu’il y aurait en 1978 une promotion Charles de Foucauld à Saumur ! Bien sûr, les élèves n’honorèrent pas le jeune et médiocre officier de cavalerie, mais le personnage au parcours de vie si exceptionnel, tout comme l’avaient déjà fait les Saint-Cyriens pendant la guerre.
Nommé en octobre 1879 à Sézanne dans la Marne, il ne s'y plaît pas et demande à être muté. Foucauld est alors affecté en 1880 au 4e Hussards (qui deviendra ensuite le 4e Chasseurs d'Afrique) à Pont-à-Mousson. C'est alors la période la plus dissolue de sa vie. Il donne des fêtes qui tournent trop souvent à l'orgie. Il dépense son argent sans compter, et il vit en concubinage avec Marie Cardinal, une petite actrice doublée d’une danseuse qui travaillait dans les théâtres de boulevard et les cabarets parisiens. Il s'affiche avec elle, et est puni pour s'être « commis en public avec une femme de mauvaise vie ». Sa tante, inquiète de ses frasques, lui écrit et le fait placer une première fois sous conseil judiciaire afin d'éviter qu'il ne dilapide sa fortune. Il écrit au sujet de cette période : « J'étais moins un homme qu'un porc », le propos est un peu trop rude, mais après sa conversion Charles n’hésitera jamais à se mortifier...PWP n°18 Charles officier au 4e Hussards
Il est envoyé à Sétif, en Algérie, avec son régiment, et emmène sa concubine alors que son colonel le lui a interdit. Condamné à trente jours d'arrêt, puis à la prison, pour sa conduite qui fait scandale, il est mis temporairement hors-cadre de l'armée pour « indiscipline » en février 1881...ce style de punition est rarissime ! Il a vingt-trois ans. Plus tard, il dira de cette conduite : « Jamais je ne crois n’avoir été dans un si lamentable état d’esprit. ». Il se retire à Évian et y vit sur un grand pied avec Marie Cardinal, mais il traîne partout un ennui existentiel. Le jour où il apprend par la presse que son régiment se bat en Tunisie, contre la tribu des Kroumirs, il part Lyon et supplie le général dont il dépend d’appuyer sa demande sa réintégration, laquelle lui sera accordée quelques mois plus tard.2 Il repart comme sous-lieutenant au 4e Chasseurs d'Afrique, en acceptant sans état d’âme de rompre avec sa concubine qui reçoit un petit pécule en guise d’adieu. Il affirmera ressentir alors « l'inquiétude vague d'une conscience mauvaise qui, tout endormie qu'elle est, n'est pas tout à fait morte »...c’est certes le début d’une transition qui s’amorce dans son quotidien.
Charles de Foucauld rejoint ses camarades qui combattent désormais dans le Sud-Oranais, après l'insurrection dirigée par le Cheikh Bouamama qui reste aujourd’hui un des héros précurseurs de l’indépendance algérienne. Au cours de cette campagne, Charles rencontre un jeune camarade François-Henry Laperrine, qui deviendra son fidèle ami et qui aura sans aucun doute une influence morale sur lui, en lui servant de guide dans l’immensité saharienne. À la fin des combats, au bout de six mois de lutte, il part en garnison, fin 1881, à Mascara, en Algérie. Cette campagne a marqué un tournant dans sa vie : non seulement il a fait preuve d'un bon comportement militaire, mais s'est aussi révélé être un bon chef, soucieux de ses hommes. Cette période correspond aussi à la fin de sa vie de débauche. Il abandonne même « en route » le tabac et l’alcool : plus de Cognac ni de champagne ! Mais la vie de garnison très peu pour lui ! Il se rêve en grand voyageur et en explorateur. La lumière des confins désertiques et la vie des bédouins rythmée par l’Islam, l’ont proprement envoûtées. Il mûrit un projet de voyage en Orient : « J'aime bien mieux profiter de ma jeunesse en voyageant ; de cette façon, au moins, je m'instruirai et je ne perdrai pas mon temps ». Il demande un congé qui lui est refusé. Il prend alors la décision définitive de démissionner de l'armée, tout en restant officier de réserve (il fera quelques périodes avant d’entrer en religion). Sa famille, tante Inès en tête, qui espérait qu’il allait en fin « se ranger » –faire une belle carrière militaire et se chercher une épouse digne de ce nom- est ulcérée et renforce son contrôle judiciaire, car il a déjà dilapidé plus d'un quart de son héritage : c’est un de ses cousins qu’il aime bien au demeurant , un sous-préfet très ou trop sérieux, qui devient son curateur. Sur le moment, il prend mal cette décision par blessure d’amour-propre et perte de sa liberté : il devra se battre pied à pied pour obtenir les subsides dont il a besoin pour mener à bien sa nouvelle vie d’explorateur.
4. L’explorateur du Maroc
Charles de Foucauld s'installe à Alger dès mai 1882 et y rencontre Oscar Mac Carthy, géographe éminent et passionné, conservateur de la bibliothèque d'Alger, et cette rencontre le renforce dans son projet : ce sera le Maroc, pays encore très mal connu et fermé aux Européens en dehors de certains ports (Tanger et Mogador surtout) ouverts à de rares commerçants et négociants. En étudiant pauvre qui se contente de peu, il étudie pendant une année l'arabe et l'islam, ainsi que l'hébreu....fini la paresse et l’indolence ! Suivant les conseils de Mac Carthy, il rencontre le rabbin Mardochée Aby Serour qui lui propose de devenir son guide et lui dit de se faire passer pour un Juif afin de mieux passer inaperçu dans ce pays alors interdit aux chrétiens, sous peine de mort, et peuplé en majorité de tribus berbères échappant au contrôle direct du Sultan.. Pour que la composition soit juste, Foucauld vit dans le quartier juif d'Alger, laisse pousser sa barbe, ses papillotes, adopte le costume traditionnel juif, acquiert les manières juives et se fait oublier. À cette occasion, il se rend compte par lui-même des vexations antisémites à l'égard des Juifs, venant tant des musulmans que des Français établis en Algérie, mais aussi des militaires PWP n°19 Le rabbin Mardochée
Le voyage si périlleux commence le 10 juin 1883 en compagnie du rabbin Mardochée. Il remporte une première victoire morale en rencontrant, dès leur départ, à Tlemcen en Oranie, de jeunes camarades officiers qui lui jettent un regard méprisant, se moquent de lui et ne le reconnaissent pas ! Charles de Foucauld se fait alors appeler « le rabbin Joseph Aleman », disant être né en Moldavie, et avoir été chassé de son pays par les Russes. Son alibi est tout trouvé : il cherche à visiter la communauté juive du Maroc pour qu'elle lui accorde son aide pécuniaire pour sa communauté : il parle un allemand un peu scolaire (souvenir de ses années strasbourgeoises et obligatoire à Cyr) qui peut passer pour du yiddish. Il n’emporte avec lui que le strict nécessaire avec tous les instruments de mesure nécessaires à son expédition scientifique : sextant, boussoles, baromètres, thermomètres, cartes et papiers qu'il dissimule du mieux possible sur sa mule. Il notera toutes ses observations avec des bouts de crayon sur des minuscules carnets qu’il tiendra dans la paume de sa main ou cachera dans sa manche, et, chaque soir, il fera un long travail pour recopier sur un cahier de plus grande taille les différentes annotations prises pendant la journée.
Le 14 juin, ils sont à la frontière mais au vu des difficultés à pénétrer au Maroc sans être démasqués, ils préfèrent prendre la mer et, après une escale à Gibraltar le 19 et 20 juin, ils arrivent à Tanger. Le 21 juin, ils se joignent à une caravane composée d’une demi-douzaine d’hommes et d’une dizaine de bêtes de somme et pénètrent dans le Maroc. Tétouan, puis Fès, Taza et, du 23 au 27 août, un petit séjour à Meknès, l’une des capitales impériales. Ensuite, c’est la descente vers l’Atlas et le sud-marocain, là où aucun Européen n’est jamais allé, ou n’en est revenu vivant, à la rencontre de tribus dont le Sultan n’est que le vague suzerain très lointain...Mardochée a peur et est très réticent, mais il remplit son contrat pour lequel il a été –et sera encore par la sœur de Charles- généreusement payé. PWP n° 20 le 1er circuit au Maroc Les deux voyageurs bénéficient chaque soir de l'hospitalité de familles juives marocaines. Quand tout le monde dort, Foucauld monte sur la terrasse familiale pour faire ses mesures pendant qu'Aby Serour fait le guet, détournant l'attention d’éventuels curieux....Il rédige ensuite à la bougie clandestinement –au péril de sa vie- un journal de voyage où il note chaque nuit une mine d'informations d’ordre ethnologique, linguistique et historique, mais aussi –et surtout- géographique, en multipliant les relevés topographiques qui prouvent qu’il a gardé ses réflexes de cyrard ! Et le jour il s’adonne chaque fois que possible –toujours en secret- au plaisir du dessin pour lequel il est doué. PWP n° 21 dessin de Charles d’un ksar marocain
Reconstituons la suite de son itinéraire grâce à la carte : il passe par Beni Mellal, Bou el-Djad où il est dénoncé comme chrétien au potentat local qui, heureusement, a visité avec émerveillement les grandes villes d’Algérie en revenant de La Mecque et aspire à une modernisation de son pays. Non content de les laisser partir au bout de quelques jours, il les confie à l’un de ses fils jusqu’à l’étape suivante la ville de Dammate entourée d’une belle oasis. Il leur laissera une escorte pour franchir le Grand Atlas par un col escarpé de 2.600m. Et heureusement, car en continuant leur route vers le sud, ils croiseront fin octobre une caravane qui veut les piller, et cela arrivera plusieurs fois, tant les juifs sont méprisés dans ces contrées où l’Islam est très rigoriste. Il sont passés par Tikrīt (12-25 octobre), Tazanakht (26 octobre 12 novembre) et par les collines de l’Anti-Atlas, ils font leur entrée dans la Sahara marocain qui n’a jamais vu d’Européen. Ils atteignent Tisint fin novembre, mais reconnus comme étrangers, on les menace de mort : Charles se fait un nouvel ami en la personne du caïd local qui les protège. Il est temps d’envisager le retour, mais l’argent lui manque même si la rumeur d’un chrétien cousu d’or est se propage auprès de tous les pillards qui les attendent en route. Charles, avec une escorte fournie par le caïd le hadj Bou Rhim qui, lui aussi a de la sympathie pour cet original, et a compris qu’il n’est qu’un explorateur solitaire. Le 9 janvier 1884 via Agadir, il prend la route de Mogador (l’Essaouira d’aujourd’hui), belle ville fortifiée au bord de l’océan où il y a une banque et un consul de France pour demander à son cousin curateur de lui envoyer de l’argent pour finir son périple. Il laisse sur place Mardochée qu’il viendra ensuite rechercher.
Il arrive à Mogador le 28 janvier, méconnaissable, maigre et barbu : le secrétaire du consul refuse de le laisser entrer, mais il insiste après s’être débarbouillé. M. Montel le reçoit aimablement et veut le faire rapatrier en France, grâce à un navire en partance pour Marseille. Il refuse et explique à son interlocuteur médusé qu’il veut continuer à cheminer jusqu’à la frontière algérienne, 700 km en pays insoumis ! Le consul le prend pour un fou, mais admiratif il le fait s’installer dans un petit hôtel tenu par un juif espagnol. Charles écrit aussi à Mimi pour lui demander de l’argent. Sa famille, trop heureuse de le savoir en vie, va évidemment lui en envoyer. Il attendra 45 jours, enfermé travaillant 12 h par jour pour mettre ses notes en ordre et commencer à rédiger son journal de voyage. Le 14 mars, il repart toujours escorté par les hommes de Bou Rhim qui l’ont attendu. C’est de nouveau l’étape d’Agadir –qui n’est à l’époque qu’une bourgade- et, après avoir repassé l’Anti-Atlas, il retrouve Mardochée à Tisint le 31 mars. Le retour va s’avérer très dur : ils franchissent à nouveau l’Anti-Atlas, puis le Grand Atlas, et c’est la lente remontée vers le nord. Il avait dû embaucher trois arabes pour les protéger des pillards toujours à l’affût...et c’est justement eux qui vont les dépouiller de leurs provisions et de leur argent en plein désert en mai, leur laissant malgré tout la vie sauve sans toucher aux précieux instruments et –surtout- aux carnets de voyage !
Après deux jours de marche très pénibles le long de l’oued Moulaya, sans rien manger, ils arrivent épuisé au village de Debdou où ils sont recueillis par une petite communauté juive. Charles est vite repéré car il se lave le visage et surtout la barbe, ce que ne fait jamais un juif pieux ! Leurs hôtes se tairont et ils pourront continuer leur chemin avec une caravane juive qui a bien voulu leur louer deux mulets qu’ils s’engagent à payer à leur arrivée en Algérie. Le 22 mai, ils sont à Oujda à la frontière. Le lendemain, ils arrivent à Lalla Marnia où flotte le drapeau tricolore sur un important casernement militaire...le voyage est fini ! Il a duré onze mois, au lieu des cinq prévus. Charles a perdu 20 kg –une fois de plus- il est épuisé mais heureux cat il a donné un sens à sa vie. Il congédie Mardochée avec lequel il n’est jamais vraiment arrivé à s’entendre car son guide ne mesurait pas l’importance de ses travaux scientifiques.3 Il lui faut maintenant se « faire reconnaître ». Un rabbin doublé d’un mendiant, il se fait proprement mettre à la porte de l’unique auberge de la ville, et se présente quasiment en loques chez les militaires avec juste un papier à la main sur lequel il a griffonné Vicomte Charles de Foucauld, lieutenant au 4echasseurs d’Afrique.
La stupéfaction est générale ! On l’amène au mess des officiers, mais Charles pour personne ne le reconnaît et on le prend pour un imposteur. Coup de chance, Charles reconnaît un de ses camarades de promotion en tournée cartographique, il plonge ses yeux dans les siens : - Salut Maumené ! Comment es-tu là ? - Foucauld ! Père Foucauld ! Enfin reconnu par ses pairs, il est fêté comme le héros du jour, le 1er Français qui, au péril de sa vie, a vaincu les trois Atlas et traversé tout le Maroc. Incontestablement, le bilan scientifique était remarquable. Avant lui, moins de 700 km de pistes étaient répertoriés. Il en avait relevé 2.690 nouveaux et 3.000 cotes d’altitude. Il avait corrigé le relevé du cours du Dra, rapporté des milliers d’observations, 135 dessins et 20 cartes. Il s’agissait maintenant d’achever son livre Reconnaissance au Maroc. Il s’installa donc à Alger et se plongea avec passion dans ce labeur auquel il travaillait, dit-il, jour et nuit. Il fait un séjour dans sa famille durant l’été où il reçoit un accueil chaleureux, mais pas question de soustraire à sa curatelle. A Paris, il est admis à la prestigieuse Société de géographie qui lui décerne une médaille d’or. En Sorbonne, lors d’une conférence, il est décoré des palmes académiques...bref le voici honoré et reconnu comme un grand explorateur, mais il reste un perpétuel insatisfait. L'avant-dernier jour de l'année 1884, il assiste au mariage de sa sœur Marie avec Raymond de Blic, neveu d'Alexis de Tocqueville. Ils seront -entre autres- les parents de l'amiral Charles de Blic (1887-1965) qui aura Charles pour parrain. Ensuite, Il repart à Alger. PWP n°22 Charles et son filleul
Certes, les paysages découverts lors de ce voyage l’avaient enchanté. « Mais bien plus encore, il avait perçu, en risquant lui-même sa vie, combien l’humanité est capable de bonté, de don de soi, en quête de rédemption. Ces hommes et ces femmes qui, depuis sa naissance, l’avaient aimé et lui avaient prodigué leur bienveillance étaient chrétiens, juifs, musulmans ou agnostiques. Mais tous avaient fait preuve d’humanité et de bonté. Plus tard, quand il aura découvert le Christ, il n’oubliera jamais cette leçon, priant sans cesse le Seigneur pour que « tous les hommes soient sauvés ». 4 Mais pour l’instant, il ne rêve à nouveau que de faire un grand voyage à travers le Sahara. A Alger, il retrouve avec joie Mac Carthy qui lui présente un éminent géographe militaire, le commandant Titre. Le commandant invite Charles chez lui et il rencontre la fille du commandant, Marie-Marguerite, belle, intelligente et artiste, une âme forte, protestante convertie au catholicisme, dont il tombe vite amoureux et qu’il envisage d’épouser. Mais les trois femmes qui comptent le plus dans sa vie (tante, sœur et cousine) déconseillent ce mariage car Marie-Marguerite n’a pas de dot et qu’elles craignent une mésalliance...les préjugés de l’époque sont tenaces ! Après plusieurs mois de réflexion et d’amertume, de retour en France, et rompt ses fiançailles –au désespoir de sa promise- et choisit de façon définitive le célibat. Il décide alors de mener sa seconde expédition, en s'embarquant depuis Port-Vendres le 14 septembre 1885 pour l’Algérie. Depuis l’Oranie, il s’enfonce dans le désert avec une escorte non armée. Il visite toutes les oasis en traversant une partie du Sahara, d’ouest en est. A nouveau, il dessine de nombreux croquis de cette expédition qui se passe sans souci majeur et qui se termine à Gabès en Tunisie. Il rentre en France en février 1886. Il a passionnément aimé le Sahara, ses paysages grandioses et ses tribus nomades, et il se promit d’y revenir.
Foucauld loue une chambre à Paris près du domicile de sa cousine Marie de Bondy avec laquelle il a de nouveau renoué. Âgé de 28 ans, ayant regagné l'estime des membres de sa famille, son attitude change. Il s'intéresse à la spiritualité et se met à lire tant le Coran que les Pères de l’église ou Bossuet. Il mène une vie de plus en plus sobre, dans une totale chasteté, loin des frasques qui choquaient tant sa famille. Il travaille tout au long de l'année 1887 à la correction définitive de sa Reconnaissance au Maroc qui paraît en 1888. L’ouvrage et toutes ses annexes lui vaut un vrai succès d’estime : il est unanimement loué par le monde scientifique, ce qui le laisse plutôt indifférent. Son livre est lu aussi dans les milieux qui se passionnent pour les voyages, mais aussi par les militaires qui y trouvent un véritable vadémécum qui servira pour la conquête du Maroc. PWR n°23 Le livre de la célébrité Il fréquente avec sa famille, lors des repas dominicaux, ou lors de dîners mondains, d’éminents représentants des cercles catholiques où il est si bien accueilli qu’il se pose de plus en plus souvent la question de son retour à la foi chrétienne. Il va souvent méditer dans des églises...
5. La conversion spectaculaire de Charles de Foucauld suivie d’une certaine errance monastique
C’est le moment que choisit sa chère cousine pour lui faire rencontrer son confesseur, l’abbé Huvelin, à l’église Saint-Augustin. Pierre Huvelin est lui aussi un personnage, d’une intelligence et d’un charisme exceptionnels. Très tôt, il décide de devenir prêtre, mais sa vocation est contrariée par son père qui rêve pour son fils -qui est un excellent élève- d'une carrière universitaire prestigieuse. En attendant de suivre sa vocation, Il fera donc des études brillantes qui l’amèneront à l’École normale supérieure où il est reçu 4e. Il passera avec succès l’agrégation d’Histoire, avant de part –enfin- au Séminaire français de Rome pour trois années d’études. En 1865, il est nommé professeur au petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et ordonné prêtre le 15 juin 1867. Puis il est nommé vicaire à Paris, d'abord à Saint-Eugène-Sainte-Cécile, et en 1875 à l'église Saint-Augustin où il restera vicaire, puis curé, jusqu’à sa mort en 1910. C’était l’homme idoine pour « affronter » Charles de Foucauld, en jouant à la fois sur le registre du cœur et de la raison, en brillant orateur qui ne « surjouait » pas son talent. PWP n°24 l’abbé Huvelin
Ils se rencontreront dans l'église Saint-Augustin le 30 octobre 1886. Charles de Foucauld exprime sa volonté de retrouver la foi. L'abbé Huvelin lui demande alors avec fermeté de se confesser, ce que Foucauld fait sans rien cacher de son passé. Le prêtre lui donne ensuite la communion. C'est, d'après lui, comme une véritable révélation : « Aussitôt que je crus qu'il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand. Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n'est pas Lui. » Huvelin va devenir son directeur de conscience et son ami en modérant toujours son exaltation et son désir d’en faire toujours plus que nécessaire. Après plus de dix-huit mois d'attente dans une posture de prière constante sous la houlette du père Huvelin, Foucauld approfondit sa vocation religieuse : il veut entrer dans un ordre qui « imite la vie cachée de l'humble et pauvre ouvrier de Nazareth », se sentant indigne d'être prêtre et de prêcher...pour l’instant. PWP n°25 Plaque commémorative à St Augustin
Le 19 août 1888, il visite la trappe cistercienne de Fontgombault et semble très attiré par la pauvreté radicale de cet ordre. Et en septembre, il donne sa démission de l'armée après sa dernière période de réserve. Le succès de son ouvrage Reconnaissance au Maroc ne lui monte pas à la tête. A la fin de 1888, sur les conseils de l'abbé Huvelin, Charles part pour un pèlerinage de quatre mois en Terre sainte. Il arrive le 15 décembre 1888 à Jérusalem, visite Nazareth le 10 janvier 1889, où il approfondit sa vocation monacale. Il est de retour en France le 14 février 1889 et annonce sa décision d'entrer à la Trappe de Notre-Dame des Neiges, en Ardèche. Dès le 18 décembre 1889, il lègue tous ses biens à sa sœur. Et Il fait ses adieux à Marie de Bondy le 15 janvier 1890...une page se tourne définitivement, mais il gardera toujours le contact avec sa famille. Il prend l'habit de novice et le nom de Frère Marie-Albéric. Foucauld aime immédiatement cette vie de pauvreté, de silence, de travail et de prière dans un décor assez rude du plateau ardéchois. Il devient vite un exemple au sein de la communauté par son obéissance et son humilité. TWR n° 26 Abbaye Notre-Dame des neiges
Mais le perpétuel insatisfait refait vite surface : il fait son baluchon et part, à sa demande, pour la trappe cistercienne de Akbès, une fondation récemment faite (1886) par Notre-Dame-des-Neiges, près d'Alexandrette dans la Syrie ottomane en plein territoire musulman, ce qui n’est pour lui déplaire. À Akbès, la recherche de la perfection de Foucauld lui donne très vite la réputation d'un saint, un marabout comme on dit en terre d’Islam. Ses mortifications très importantes –jeûne, privation de sommeil pour prier encore et toujours, travaux pénibles- inquiètent tant son supérieur que l'abbé Huvelin. Ils voient en lui le possible prochain supérieur de la Trappe et lui demandent de reprendre des études afin de devenir prêtre. Tout en regrettant ce choix, qui, à ses yeux, l'éloigne de la dernière place et de l'humilité qu'il recherche, Foucauld s'exécute et commence des études de théologie. Charles de Foucauld émet des doutes sur sa vocation trappiste car il a envie d’être au service des plus pauvres, de ceux qui sont oubliés de Dieu. Il le vérifie à Akbès en 1895/96 quand commence la persécution des Arméniens auquel il veut porter secours : « Point d'abri, ni d'asile, par ce froid terrible, point de pain, aucune ressource, des ennemis de toutes parts, personne pour les aider »... sa vocation missionnaire, son absence de peur face au baroud, son refus des plier à un ordre, même monacal, tout l’amène à refuser de prononcer ses vœux définitifs, ce qui ne plaît guère au père abbé mais il n’en n’a cure !Lors de l'une de ses longues médiations en 1896, Foucauld écrit son texte le plus fameux, la Prière d'abandon, qui résume sa spiritualité :« Mon Père, je me remets entre Vos mains ; mon Père je me confie à Vous, je m'abandonne à Vous ; mon Père, faites de moi ce qu'Il Vous plaira ; quoi que Vous fassiez de moi, je Vous remercie ; merci de tout, je suis prêt à tout : j'accepte tout.../...je ne désire rien d'autre mon Dieu ; je remets mon âme entre Vos mains avec une infinie confiance, car Vous êtes mon Père. » Elle reste encore aujourd’hui très présente au sein de l’église catholique sous la forme d’un chant particulièrement apprécié par la jeunesse, chez les scouts ou dans les aumôneries des lycées. En janvier 1897, on le relève enfin de ses vœux, les Trappistes étant bien conscients qu’il aspire à une autre forme de vie consacrée. Au printemps 1897, il part à nouveau en pèlerinage en Terre Sainte et s’arrête chez les clarisses de Nazareth : il leur demande simplement à être jardinier, avec pour seul salaire un morceau de pain et l'hébergement dans une modeste cabane. Il commence à rédiger ses méditations, pour « fixer les pensées », écrivant plus de 3 000 pages en trois ans ! Menant cette vie d'ascèse, Foucauld acquiert une réputation de sainteté auprès des Clarisses de Nazareth, et la supérieure des Clarisses de Jérusalem veut alors le rencontrer. Elle l'encourage au sacerdoce et à la fondation d'un ordre religieux, cela s’avèrera impossible dans un Proche-Orient compliqué où le patriarche latin de Jérusalem lui dit d’attendre. Le projet n'aboutissant pas, il se décide à se préparer au sacerdoce en France. À la fin du mois d'août 1900, Foucauld s'embarque pour Marseille. Il revoit, pour la première fois depuis dix ans, l'abbé Huvelin et embrasse sa famille. Il part ensuite pour Rome afin d'obtenir enfin l'autorisation de devenir prêtre. Après avoir reçu les ordres mineurs, le 7 octobre 1900, il est enfin ordonné prêtre au Grand Séminaire de Viviers en Ardèche, le 9 juin de l'année suivante. Il se décide alors à partir pour le désert du Sahara qui l’attire encore et toujours...TWR n°27 Tableau de Nazareth
6. L’ermite du Sahara, de Béni-Abbès à Tamanrasset
Il débarque à Alger en septembre 1901, où il s'installe un moment chez les Pères blancs ; il rencontre Mgr Guérin, le jeune évêque préfet apostolique du Sahara avec lequel il a un bon contact et qui le soutient dans sa démarche. Il est ravi de retrouver l’Afrique du nord et la population musulmane, mais aussi de côtoyer à nouveau des militaires, car il n’a jamais renié la fraternité d’armes, même s’il fut un officier très atypique. Le voici parti pour Béni-Abbès, une oasis située sur la rive gauche de la Saoura, au sud de l'Oranie, dans le Sahara occidental. Il édifie avec l'aide des soldats présents une « Khaoua » (fraternité) composée d'une chambre, d'une chapelle, et de trois hectares de potager, achetés grâce à l'aide de Marie de Bondy. La chapelle est terminée le 1er décembre 1901. Sa vie s'organise autour d'une règle stricte : cinq heures de sommeil, six heures de travail manuel entrecoupé de longs temps de prières. Il est cependant très vite débordé par les longs moments qu'il prend pour écouter les pauvres –il parle arabe couramment- et les soigner si besoin car il s’est fait infirmier. S’ils ont faim, il a toujours des légumes, du blé ou des dattes à leur donner. Il prend le temps aussi de bavarder -ou de prier avec certains- avec les militaires qui viennent le voir. Il décrit à Gabriel Tourdes son état d'âme : « Prêtre depuis le mois de juin dernier, je me suis senti appelé aussitôt à aller aux brebis perdues, aux âmes les plus abandonnées, afin d'accomplir envers elles le devoir de l'amour. Je suis heureux, très heureux, bien que je ne cherche en rien le bonheur ». L’année 1902 se passe à lutter contre l’esclavage. Il arrive à en racheter 2 et dénonce un système social encore en vigueur au Sahara et toléré par l’armée : « La plus grande plaie de ce pays est l'esclavage. Je cause familièrement chaque jour, en particulier, hors de la présence des maîtres, avec beaucoup d'esclaves ». Néanmoins, Foucauld se voit tempéré dans ses revendications par Mgr Guérin, qui lui demande, au nom du réalisme politique, de ne pas agir politiquement. À plusieurs reprises, il lui demande d'arrêter l'achat de ses esclaves, parce que les chefs de tribus sont mécontents des initiatives du « marabout blanc ». Peu à peu, l'activisme et la proximité de Charles de Foucauld avec les autorités locales conduisent à un changement de la situation. Le 15 décembre 1904, Foucauld annonce à Henri de Castries –un officier géographe devenu son ami- que « d'un commun accord, les chefs d'annexe des oasis ont pris des mesures pour la suppression de l'esclavage. Non en un jour, ce qui ne serait pas sage, mais progressivement ». Formaté par son milieu et pas ses expériences passées, Charles de Foucauld soutient la colonisation française, mais il s'est montré néanmoins plus lucide que la plupart des responsables de sa génération, et ne s'est pas privé d'avertir ses compatriotes qu'ils perdraient leur empire africain « faute d'une volonté politique de justice et de progrès ». Il n’aime guère les Français d’Algérie, ceux qu’on n’appelle pas encore les pieds noirs, car il traite la population indigène avec trop de mépris. TWR 28 Charles à Béni-Abbès
Il retrouve avec plaisir le commandant Laperrine , le créateur des compagnies sahariennes et chef militaire du désert algérien renommé, que l’on surnomme le « Saharissime ». Il cherche à faire venir son ami dans ses « tournées d'approvisionnement » vers le sud. Foucauld s'y montre d'autant plus favorable que Laperrine semble vouloir utiliser des méthodes beaucoup moins violentes que ses prédécesseurs. Il s'entend parfaitement avec le Père de Foucauld sur tout. Celui-ci écrira de lui « Laperrine, très intelligent, très actif, d'une indépendance de caractère et d'un désintéressement absolus, a rapidement mis les oasis en plein progrès, réelle prospérité, par un mélange de force employée avec justice, de constante loyauté et de grande douceur. » TWR n°29 Laperrine Mais, pas d’angélisme, leurs buts ne sont pas comparables : le militaire voulait gagner le Sahara à la France, et le prêtre chercher à y porte en plus le message d’amour du Christ. Pour le 1er, le succès est patent, pour le second ce fut l’échec : il ne fit aucune conversion chez les Touaregs, mais qui le respectaient en tant qu’homme saint, un marabout qui s’était mis à leur service et qu’ils protégèrent. En 1910, Laperrine quitte le Sahara pour prendre le commandement du 18e régiment de chasseurs de Lunéville, mais il confie son ami Charles en partant à ses successeurs. TWR n°30 Charles et Laperrine
Cette 1ère reconnaissance vers le Hoggar dure un grande partie de l’année 1904 et les amène au cœur du massif au contact des Touaregs, les « hommes bleus » qui vivent encore à l’ère de la féodalité. Charles s’intéresse à leur langue et à leurs coutumes. Point positif : la place de la femme qui n’est pas, comme trop souvent, maltraitée, bien au contraire ! Point négatif : les esclaves noirs y sont légion, comme à Béni-Abbès. Intrigué par Charles de Foucauld, le général Hubert Lyautey, nommé en Algérie, décide de le visiter à Béni-Abbès le 28 janvier 1905. De cette rencontre naît une amitié réciproque et une certaine admiration de Lyautey pour Foucauld. Quand il établira le protectorat de la France sur le Maroc, la Reconnaissance de Charles sera un de ses livres de chevet. TWR n°31 Charles et le général Lyautey Et il respectera toujours les traditions du royaume chérifien. Le 25 juin 1905, Laperrine et Charles rencontrent l'amenokal (chef suzerain du Hoggar) Moussa Ag Amastan qui décide de faire alliance avec l'autorité française. Charles de Foucauld et Moussa se découvrent et semblent s'apprécier mutuellement. De leur rencontre naît une amitié profonde qui ne se démentira jamais. Le Touareg autorise Charles à s'installer dans le Hoggar, ce que fait ce dernier en se dirigeant vers Tamanrasset qui n’est alors qu’un petit village. TWR n°32 carte de l’Algérie
Foucauld arrive à Tamanrasset le 13 août 1905, accompagné de Paul, un ancien esclave. Il se construit une maison en pierre et terre séchée. Foucauld a désormais pour objectif de mieux connaître la culture touarègue, et fait de la rédaction d'un dictionnaire touareg-français une priorité de son apostolat. Il aide les populations qu'il rencontre et continue à distribuer médicaments et aliments afin d'être en confiance avec eux et « leur prouver que les chrétiens les aiment ». Il reçoit souvent des officiers français, dont le capitaine Edouard Charlet, avec lesquels il a des échanges très fructueux, lui aussi ayant visité clandestinement le Maroc. Foucauld perçoit cependant, dans l'attention qu'ils lui témoignent, un obstacle à sa recherche de totale simplicité...pas simple ! TWR n°33 Charlet et Charles Charles se trouve enfin un compagnon, le frère Michel, mais celui-ci ne supporte pas le climat et repart rapidement. Le pape lui donne l’autorisation de célébrer la messe en étant seul, pour sa plus grande joie intérieure A la noël 1907, il tombe malade et il est soigné par les villageois avant de recevoir la visite d’un médecin militaire envoyé par Laperrine.
Il reprend et continue son travail sur la culture et la langue touarègues. Il travaille jusqu'à onze heures par jour à des travaux linguistiques qui l'absorberont jusqu'à sa mort : rédaction d'un lexique, transcription, traduction et commentaire de poésies touarègues. L'armée construit un nouveau fort à quelques kilomètres de Tamanrasset, Fort Motylinski du nom d’un officier érudit qu’i aimait bien. Foucauld veut fonder une association de laïcs, et demande l'approbation de l'abbé Huvelin et de Mgr Guérin pour aller en France afin de développer cette association. Le 16 février 1909, il embarque d'Alger pour la France. Le 11 juin, Foucauld est de retour à Tamanrasset après des contacts plutôt décevants en France. Son association de laïcs se développera surtout après la Grande Guerre. Il poursuit ses travaux auprès des Touaregs et son lexique. Il entreprend quand même d'organiser la confrérie apostolique des « Frères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus ». Il fait une dernière tournée d'approvisionnement avec le commandant Laperrine en septembre et découvre le plateau de l'Assekrem où il se fait construire un ermitage d’été...dont il ne profitera pas beaucoup. TWR n°34 l’ermitage de l’Assekrem
Les mois qui suivent sont marqués par de nombreuses séparations. Foucauld apprend la mort de Mgr Guérin à l'âge de trente-sept ans le 19 mars 1910. Il apprend le 15 août la mort de son père spirituel, l'abbé Henri Huvelin, décédé le 10 juillet. En outre, le commandant Laperrine est muté et doit quitter le Sahara à la fin de l'année. Foucauld veut cependant développer sa confrérie. Il repart en France le 2 janvier 1911B 78 et en revient le 3 mai. Il passe l’été à son ermitage et devant sa santé qui se détériore, il écrit son testament. 1912 et le début de l'année 1913 sont marqués par le développement d'une instabilité politique dans le Sahara avec des menaces de rezzous venant du Maroc ou de la Lybie voisine. Il fait un dernier voyage en France au printemps et à l’été 1913 pour voir sa famille et assurer l’essor de son union de laïcs. Le 3 septembre 1914, il apprend la déclaration de guerre en Europe. Du fait de sa santé de plus en plus précaire, Foucauld hésite à partir sur le front afin de devenir aumônier militaire. Finalement il écrit à sa cousine Marie qu’il y renonce. Foucauld sécurise son ermitage de Tamanrasset en construisant, entre l'été 1915 et l'été 1916, avec l’aide de l’armée, un fortin en briques pour donner à la population un refuge en cas d'attaque venue des Sénousites de Lybie. Il contient des vivres, un puits, et des armes. Charles de Foucauld refuse de s'installer avec l'armée à Fort Motylinski, préférant demeurer auprès des Touaregs. En juin, ses voisins touaregs lui conseillent pourtant de se réfugier dans le fort car ils savent ce qui se trame derrière la frontière.
Le 1er décembre, un Touareg connu de Charles de Foucauld trahit sa confiance et permet aux Sénousites d'investir le fortin pour le piller. L'arrivée de deux tirailleurs algériens les surprend et, dans la panique, l’adolescent auquel on avait confié la garde de Charles de Foucauld l'abat d'une balle dans la tempe, alors que les pillards voulaient le garder comme otage et demander une forte rançon pour le libérer. Le soir même, les Touaregs l'enterrent à même le sol, avec les autres morts musulmans. Le général Laperrine arrive sur les lieux un an plus tard, le 15 décembre 1917, retrouve la dépouille jetée dans le fossé et l'inhume à quelques mètres de là. Le corps est encore déplacé pour être mis dans un tombeau, le 26 avril 1929, à El Goléa. PWP n°35 la tombe de frère Charles
Aujourd’hui, La Famille spirituelle de Charles de Foucauld est une association qui réunit une grande partie des communautés et associations qui s'inspirent de sa spiritualité. Elle compte environ treize mille membres. Leur finalité est la même, tout en réunissant des états de vie variés (prêtres, frères laïcs, religieux et religieuses, pères et mères de famille, ou célibataires) dans l'union spirituelle et la fraternité. Elle comprend en 2019 douze congrégations religieuses et huit associations de vie spirituelle.
La vie de Charles de Foucauld est marquée par la conversion radicale et le désir d’aller vers les plus lointains. Charles est déclaré vénérable le 24 avril 2001 par Jean-Paul II, puis bienheureux le 13 novembre 2005 par Benoît XVI. En 2016, un autre Charles, un charpentier de Saumur, survit sans séquelle à une chute mortelle. L’Église y reconnait un miracle intervenu cent ans jour pour jour après la mort de l’ermite de Tamanrasset et attribué à la prière fervente adressée au bienheureux Charles de Foucauld. La reconnaissance de ce miracle, en mai 2020 par le Vatican, a ouvert la voie à sa canonisation. Il a donc été canonisé le 15 mai 2022 par le pape François. PWP n°36 la cérémonie de canonisation L’Église catholique met en lumière la vie donnée de ce prêtre missionnaire brûlant d’un désir de la rencontre avec ses frères humains qu’il a souhaité servir dans toute la mesure de son amour. Petit frère de tous, homme parmi les hommes, assoiffé de fraternité, Charles de Foucauld reste dans son apostolat un exemple à suivre qui trace un chemin universel, et ce d’autant plus qu’il n’a pas forcé qui que ce soit à se convertir, car il avait un grand respect de l’Islam. Comme nous tous, il était fait de contradictions mais, que nous soyons croyants ou pas, on ne peut que reconnaître sa forte personnalité attachante et sa bonté jamais mise en défaut.
L’une des promotions de Saint-Cyr d’Aix-en-Provence prit l’ancien de la Plewna comme parrain durant les heures noires de l’Occupation, ce qui déplut à certains esprits chagrins, soucieux d’exemplarité, car son seul parcours d’officier ne plaidait pas vraiment en sa faveur. Il est vrai qu’il appartenait à la même promotion que Philippe Pétain, et en cette période où la « Révolution Nationale » battait son plein, il n’est pas interdit de penser que cela a dû jouer… et la médiocrité sublimée et dépassée est source d’espérance pour nous tous et le monde qui nous entoure.
5 NOTES1. Ce souvenir évoqué par le général Laperrine d’Hautpoul (1860-1920) date d’octobre 1913 : il est tiré d’un portrait paru dans la Revue de cavalerie sous le titre Les Étapes de la conversion d’un housard. François-Henry Laperrine fut le créateur des compagnies sahariennes qui pacifièrent le Sahara (luttes tribales et rezzous). Devenu général de brigade en 1912, il commanda au front une brigade d’infanterie durant la Grande Guerre. Revenu en Afrique du nord, il mourut lors de la 1ère tentative de traversée aérienne du désert en mars 1920, son avion s’étant crashé victime d’une panne d’essence. Il fut enterré aux côtés de son ami le père de Foucauld.
2. Jean-Jacques Antier raconte dans son livre avec amusement cette entrevue avec le général commandant à Lyon le 4e Corps : « -Monsieur de Foucauld ! Quel bon vent vous amène ? - Mon général, je sollicite respectueusement ma réintégration dans l’armée. L’officier, qui le connaît bien, le dévisage avec stupeur. – Vous connaissez les conditions ? – Oui, mon général. Je suis prêt à rompre immédiatement. Le général ne croit pas trop à cette « conversion ». Quel nouveau coup prépare le petit vicomte rebelle ? – Mon général, je veux me battre ! Je sollicite du ministre ma réintégration et j’offre de servir, s’il le faut, comme simple spahi cavalier, sans grade. - Bien. Formulez votre demande de réintégration. Je la transmettrai au général directeur de la cavalerie au ministère de la Guerre, qui avisera pour la suite à donner. - Ce sera long, mon général ? L’autre a un sourire. Il est content. L’armée va récupérer son enfant terrible. - Allez, Père Foucauld ! Je m’occupe de vous !
3. Mardochée Aby Serour sort passablement usé avant l'âge par ce voyage. Il meurt moins de deux ans après leur retour, dans l'oubli et la misère, à Alger en 1886, à la suite d’expériences alchimiques qui le passionnent...sans doute empoisonné par des vapeurs de mercure.
4. In la Conférence de carême de Mgr Jean-Marc Aveline archevêque de Marseille, mars 2022.
5. Livre recommandés parmi bien d’autres : La bibliographie signée de Jean-Jacques Antier, parue chez Perrin, est disponible dans la collection de poche « tempus ». La plus ancienne qui contribua à faire connaître l’ermite de Tamanrasset est celle de René Bazin qui date de 1921, et que l’on peut lire en ligne. Dans Passer par le désert : sur les traces de Charles de Foucauld, paru en 2016 chez Bayard, Sébastien de Courtois a adopté le style du carnet de voyage intimiste imprégné de la mystique du désert. J’y ai été interviewé pour évoquer le saint-cyrien atypique et le jeune officier épicurien.
José MAIGRE
1. Le décor du conflit au travers de quelques rappels de notre 1ère conférence
* Le décor Physique :
* Le décor humain :
- Au Viêtnam, il existe un grand contraste entre les deltas surpeuplés, Cochinchine et Tonkin, mais aussi les plaines côtières d’un côté, et de l’autre la Moyenne et la Haute région presque vides d’habitants (forêts denses et savanes). En 1940, point d’orgue de la colonisation, l’Indochine entière va compter 25 millions d’habitants sur un territoire de plus de 740.000 km2, soit une fois et demie la France métropolitaine. On a pu parler d’une véritable mosaïque de populations, avant que les régimes communistes ne les uniformisent avec une politique habile d’assimilation qui a respecté leurs traditions...sauf bien sûr avec la parenthèse tragique des Khmers rouges !
- La population d’origine des trois états : les Vietnamiens (venus de Chine méridionale), mais aussi les Khmers et les Laos sont de loin les plus nombreux. Les moins de 10 % de minorités d’origine thaï ou birmane ne sont présents que dans les zones montagneuses reculées : la colonisation y dénombrera en tout 54 groupes ethniques ! Et la plupart seront les auxiliaires du CEFEO lors de la guerre d’Indochine dans des maquis –efficaces- contre les divisions du Vietminh. Plus de 95 % de la population d’origine est rurale, 90 % au mitan du XXème siècle, environ 70% encore aujourd’hui, ce qui a rendu d'autant plus difficile les décomptes et recensements. Deux minorités sont exogènes : les Chinois qui commercent en grand ou en petit (400 à 500.000 personnes qui fuiront le Vietnam dans les années 75/80 les Boat People) et les Européens : 50.000 personnes du temps de la colonisation (et autant d’Eurasiens). Les Français sont militaires, fonctionnaires, négociants ou professions libérales pour la plupart. L’Indochine coloniale est une fédération qui donc n’a jamais été une colonie de peuplement aux yeux de la France.
Rappel : la population indochinoise d’aujourd’hui : Viêtnam : 97 millions, 15 pour le Cambodge et 6,5 pour le Laos. Le Vietnam reçoit aujourd’hui plus d’1 million de touristes par an et plusieurs dizaines de milliers d’Occidentaux y vivent ou y séjournent régulièrement. Docu 3 Indochine humaine
* Les 1ers contacts : le rôle essentiel de l’Église dans ses 1ers contacts avec le royaume d’Annam : d’abord le jésuite Alexandre de Rhodes (1591-1660). Il fut un des premiers Français à parcourir la Cochinchine et le Tonkin où il apprend la langue annamite. Il est surtout connu pour y avoir fait adopter l’alphabet latin, à côté des idéogrammes chinois. L’Annam se démarque ainsi de ses voisins, mais rejette le christianisme missionnaire.
* Ensuite, au siècle suivant, Mgr Pierre Pigneau de Behaine (1741-1799) sera le 1er interventionniste. Docu 4 Portrait Il devient l’ami de Nguyễn Ánh, le futur empereur Gia Long, qui mène une véritable guerre civile entre son clan impérial des Nguyen et celui des Tây Son. Mgr Pigneau dévoile de réelles qualités de diplomate et d’homme d’état. Cette guerre civile s’éternise car elle oppose nord et sud du pays avec des manières de vivre et des mentalités antagonistes...schéma que l’on retrouvera au XXème siècle lors des guerres d’Indochine, puis du Viêtnam, avec la RDVN centralisatrice, communiste pure et dure, d’un côté à Hanoï, et la république du sud-Viêtnam de l’autre à Saigon, libérale économiquement certes, mais gangrénée par la corruption et la dictature militaire. Pigneau a l’idée de demander de l’aide à la cour de Versailles et Ánh lui confie pour ce long voyage son propre fils, le petit prince Canh. Docu 5 Portrait On signera un traité d’alliance avec l’Annam en 1787, mais il restera lettre morte. Mgr Pigneau recrute trois cent cinquante marins volontaires et vingt officiers et ingénieurs de la marine. Ceux-ci vont former les soldats annamites à l’européenne et construire un réseau de citadelles à la Vauban, dont la plus importante est la citadelle de Saigon en 1790. Il meurt en 1799 et Gia Long lui construit un tombeau somptueux.
* Gia Long et ses successeurs n’ont pas cessé de persécuter la petite minorité catholique, ce qui donne un prétexte tout trouvé à Napoléon III pour intervenir...c’est le début de la conquête coloniale !
- Sous Napoléon III, le règne sans partage des amiraux qui occupent la Cochinchine (Saigon) qui devient une colonie et le Cambodge qui devient un protectorat.
- Sous la IIIe République, après deux échecs malheureux pour conquérir Hanoï, Paris se décide de réagir ! En juin 1885, par le traité de Tien Tsin, la Chine impériale renonce finalement à son protectorat multiséculaire sur le Tonkin et le transfère à la France, et l’empire d’Annam devient un protectorat. Grâce Auguste Pavie, le Laos devient aussi un protectorat. Désormais, ce sont les administrateurs civils qui prirent en Indochine la main sur les chefs militaires, chargés simplement de missions de souveraineté et de maintien de l’ordre, dans les territoires militaires frontaliers, au contact de la Chine.
* Un siècle durant la France va marquer de son empreinte ce qui s’appelait alors l’Indochine ou la Fédération indochinoise sous la férule d’un Gouverneur général. Docu 6 étapes de la conquête
Paul Doumer, le plus compétent, a fait entrer l’Indochine dans la modernité au niveau administratif et socio-économique par sa politique volontariste et souvent autoritaire qui fit dire plus tard à de Gaulle qu’il avait été notre meilleur proconsul colonial. Docu 7 Portrait Partout se construisent des quartiers à l’européenne avec des palais et des villas, mais aussi des routes et un chemin de fer trans-indochinois, sans compter l’essor des plantations d’hévéas, de riz, de café et de coton...et quelques exploitations minières + quelques usines manufacturières indispensables ; le tout stimulé par la Banque d’Indochine...un état dans l’état ! Docu 8 palais présidentiel Mais de tout ce progrès, l’immense masse de la paysannerie en fut exclue, ce qui explique qu’elle se montrera très sensible aux idéaux révolutionnaires dès les années 30, comme dans l’immense Chine voisine.
* En fait, l’immense majorité du peuple vietnamien, tout autant que ses élites, n’a accepté la colonisation que contraint et forcé. Plusieurs empereurs, vite détrônés, de nombreux mandarins lettrés, n’ont cessé de revendiquer plus d’autonomie, et des révoltes populaires ont été là pour nous le rappeler (la plus connue celle des tirailleurs de Yen Bay) en 1930. Docu 9 Yen Bay Plusieurs mouvements nationalistes vont naître avant la seconde guerre mondiale, ainsi que le Parti communiste indochinois qui sera de loin le plus sérieux adversaire de la colonisation.
La personnalité qui se détache de toute cette agitation politique clandestine, c’est Nguyen Ai Quoc -Nguyen le patriote- qui deviendra en 1945 Ho Chi Minh -celui qui éclaire- fondateur du Viet Minh et de la république démocratique du Viêtnam avec Vo Nguyen Giap, un prof d’histoire qui va se transformer en véritable stratège. Docu 10 Nguyen à Tours déc. 1920
2. La marche inéluctable vers le conflit (1940-1946)
* Pour améliorer le sort de la population et prendre en compte le désir de plus de libertés, le Front populaire ne prit sur place que des mesurettes dans le style « village Potemkine ». Curieusement, c’est Vichy et l’amiral Decoux –nommé comme gouverneur général- qui les premiers se préoccupèrent d’une véritable représentation locale des élites, mais bien trop tardivement, et dans un style trop paternaliste ! Le climat social est très délétère et on sent que tout peut arriver...
L’intrusion japonaise à l’été 40 va changer la donne et remettre en cause la légitimité de la présence française en Indochine qu’elle balaiera lors du coup de force du 9 mars 1945. Docu 11 Entrée des Japonais à Hanoi De nombreux militaires français - qui avaient supporté en silence la présence nippone- et tenté même une résistance clandestine- furent massacrés par surprise au sabre ou à la baïonnette. Seules les troupes mobiles du Tonkin sous les ordres du général Alessandri purent se réfugier en Chine au terme d’une longue retraite, constamment harcelées par l’armée japonaise. Dès le lendemain du coup de force, les trois pays d’Indochine retrouvent leur liberté – étroitement surveillée par Tokyo, certes- et plus rien ne sera comme avant. C’est comme si la présence française avait été rayée de la carte ! Tous les civils Français furent regroupés dans les quartiers européens étroitement surveillés, et les militaires prisonniers enfermés dans des camps de la « mort lente ».
* L’année 1945 est marquée en Indochine par une terrible famine (entre 1 et 2 millions de morts) liée d’abord aux bombardements américains incessants qui interdisent le transport du riz de la Cochinchine vers le Tonkin, mais aussi aux réquisitions nippones et au non entretien des digues dans les zones de riziculture, les technicien français ayant été chassés par les Japonais. Dans la Haute Région tonkinoise, apparaissent les 1ers maquis du Vietminh, une ligue nationaliste contrôlée en sous-mains par les communistes. Contrairement à deux autres ligues nationalistes concurrentes, elle n’est ni sous la coupe des Chinois ni sous celle des Japonais. Les maquisards vietminh sont aidés, armés et entraînés par des militaires américains de l’OSS ! Docu 12 Ho, Giap et l’OSS Ils sont censés se battre contre les Japonais, mais ils pensent surtout à asseoir leur légitimité pour préparer l’avenir.
* Août 45, tout se précipite ! Après Hiroshima et Nagasaki, Le 2 septembre 1945, le Japon signe officiellement sa capitulation. La conférence de Potsdam en juillet avait confié le désarmement des forces japonaises, en Indochine, à la hauteur du 16e parallèle aux Chinois nationalistes de Tchang Kaï-chek pour la partie Nord, et à la Grande-Bretagne pour la partie Sud. Les « gouvernements fantoches » aux ordres des Japonais démissionnent au Vietnam, au Laos et au Cambodge...et partout règne une certaine anarchie. Seule, l’armée japonaise toujours présente continue d’assurer le maintien de l’ordre, là où c’est possible, mais les Français « restent en cage » !
* Ho comprend vite que c’est le moment favorable pour la prise de pouvoir ! Il va déclencher la Révolution d’août. Les militants des maquis vietminh quittent leurs repaires dans la brousse ou la montagne et foncent vers les villes du nord au sud de la péninsule où ils retrouvent leurs camarades déjà dans la place. La plupart sont des militants communistes plus ou moins camouflés. Partout, c’est la « divine surprise » car rien ni personne ne s’oppose à eux ; de plus, les Japonais sont largement complices ! Les mandarins ou les intellectuels les plus compromis avec la puissance coloniale sont évidemment liquidés...mais les militants trotskistes aussi !
Le 2 septembre, à Hanoï, Ho proclame -entouré par la ferveur patriotique de tout un peuple - la République du Vietnam. Docu 13 Le préambule de la déclaration d'indépendance est copié sur la Déclaration d'indépendance des États-Unis et sur notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L’empereur Bao Daï ayant abdiqué devient un temps le « conseiller spécial » du premier gouvernement de la République démocratique du Viêt Nam, assurant ainsi la continuité du pouvoir vietnamien et la légitimité de ce gouvernement. Ensuite, il s’exilera à Hon Kong...en attendant son heure.
Les seuls invités étrangers sont les Américains de l’OSS ! Le major Patti se flattait d’être devenu l’ami d’Ho Chi Minh et de Giap, sans prendre en compte le fait qu’ils étaient d’abord des militants communistes formés par le Komintern, avant d’être des leaders indépendantistes ! Docu 14 Patti et Giap Patti avouera dans ses mémoires avoir appliqué les consignes du président Roosevelt de ne rien faire pour aider les Français et pour faciliter par la suite leur retour en Indochine...au moins tout était clair ! Mais tous les Américains n’étaient pas d’accord avec cette consigne passablement indigne entre Alliés : le général Claire Lee Chennault avec ses « Tigres volants » de la 14e Air Force de Chine « sauva l’honneur » et fit parachuter vivres, armes et médicaments à la colonne Alessandri qui retraitait vers la Chine après le coup de force japonais. Docu 15 Portrait
* La France réalise qu’elle doit agir vite pour réaffirmer sa présence. Le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, nomme l'amiral Thierry d'Argenlieu, Haut-Commissaire de France et commandant en chef et le général Leclerc, commandant supérieur des troupes, avec pour mission de rétablir la souveraineté française sur l'Indochine libérée, mais, en faisant « du neuf », c'est-à-dire en construisant une Fédération indochinoise autonome au sein de la nouvelle Union française. Deux gaullistes de la 1ère heure, mais qui ne s’entendent pas. Docu 16 D’Argenlieu est un ancien officier de marine devenu moine qui a repris du service, assez rigide et fermé aux réalités du terrain, contrairement à Leclerc, un pragmatique qui sait s’adapter aux circonstances, auréolé de gloire avec sa légendaire 2e DB. Cela va prendre du temps pour acheminer les troupes car nous manquons de bateaux et les distances n’arrangent rien : il y a 1.200 kilomètres de Saigon à Hanoï, 12.000 de Marseille à Saigon.
* Tandis que les forces chinoises du général Lou Han, gouverneur du Yunnan, occupent le Tonkin et le nord-Annam, les premiers débarquements alliés ont lieu à Saigon du 5 au 12 septembre 1945, avec la 20e division indienne du général Gracey, complétée d'un détachement para français symbolique, sous uniforme britannique, le 5e RIC. Docu 17 Les 25.000 hommes du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) arrivent sur place progressivement (d’abord la 9e DIC et le groupement de la 2e DB) ; ils libèrent la communauté française, qui accueille Leclerc avec enthousiasme le 5 octobre. Les troupes débarquées commencent à « nettoyer » la région de Saigon de tous les éléments révolutionnaires. Et la reconquête française commença sans attendre dans le reste de la Cochinchine : le Vietminh s’y livra à une guérilla incessante face à nos troupes et se retira ensuite dans des zones marécageuses quasi impénétrables. Notre retour au Cambodge fut plus calme. Docu 18 Leclerc et Massu Mytho oct. 1945
Les Anglais partirent, une fois les troupes japonaises désarmées dans tout le sud de la péninsule, non sans avoir clairement soutenu notre retour. Ce fut une autre paire de manches au nord face aux Chinois –pas pressés, eux, de s’en aller- et surtout face au Vietminh qui a proclamé le doc lap, l’indépendance, à laquelle le peuple vietnamien n’avait jamais vraiment renoncé !
* Pour établir les bases de la nouvelle Fédération indochinoise voulue par la France, il reste à reprendre le contrôle du Laos, ce qui fut fait en « douceur », mais aussi de l'Annam (Viêt Nam central) et surtout du Tonkin (Nord du Viêt Nam), où Hô Chi Minh ne reviendra pas sur l’indépendance non octroyée, mais prise de force. Ce fut un éminent résistant du réseau Alliance, ancien cadre de la Banque d’Indochine, Jean Sainteny, qui fut chargé d’établir le contact avec Ho Chi Minh à Hanoï, en plein accord avec Leclerc. Il fut parachuté au Tonkin dès août 1945, mais sans grande possibilité d’agir durant de longs mois quasi prisonnier à la Légation de France à Hanoï. Leclerc, en octobre 1945, lui adjoint le général Raoul Salan, qui a servi longtemps en Indochine, et qui fait son retour à Hanoï en tant que commandant des forces françaises encore confinées dans la citadelle d’Hanoï -quasi prisonnières- sans compter celles qu’il faut rapatrier de Chine. En janvier 1946, Salan participe aux négociations concernant le départ des troupes chinoises du Tonkin, et il fait la connaissance d' Hô Chi Minh avec lequel il a un bon contact. Salan a servi avant-guerre au SR colonial avec Georges Mandel et il sait qui est Ho dont il connait l’habilité dialectique et les qualités politiques. Sainteny et lui préparent activement notre retour au nord. Docu 19 Portrait
* A l'issue des négociations qui se tiennent à Hanoï, les accords franco-vietnamiens sont signés le 6 mars 1946, après des concessions des deux côtés. Tout d'abord, ces accords entérinent le retour de l'armée française. Hô Chi Minh est bien conscient que celle-ci est plus moderne et aguerrie que ses troupes en cours de formation, souvent d’anciens tirailleurs ou des ex-membres de la Garde indigène (gendarmerie supplétive). Cependant il redoute aussi la mainmise des Chinois sur le Nord-Vietnam et cède donc sur plusieurs points. Il accepte que le corps expéditionnaire de Leclerc occupe temporairement le nord du pays en remplacement des troupes chinoises. Une annexe précise que le délai de présence des troupes françaises n'excédera pas cinq ans, le temps qu'elles soient relevées par l'armée vietnamienne. En contrepartie, Sainteny n'hésite pas à parler de l'indépendance du Vietnam. Les accords utilisent la formule suivante : « la France reconnaît la République du Viêt Nam comme un État libre ayant son gouvernement, son Parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédération indochinoise et de l'Union française ». Docu 20
* Le 18 mars 1946, Hô Chi Minh accueille Leclerc et ses troupes qui entrent dans Hanoï sous les vivats de la colonie française qui vivait dans l’angoisse et les vexations depuis mars 1945. Une proclamation commune demande aux populations de s'entendre. Aucun coup de feu n'est tiré, et la paix semble sauvée. Le président Ho est invité en France pour poursuivre les négociations. Cependant, certaines voix dénoncent déjà ces accords, comme Thierry d'Argenlieu qui parle de « Munich indochinois ». L’amiral fait rappeler Leclerc en France, remplacé par le général Valluy, et en profite pour pousser à la création d’une République autonome de Cochinchine, en accord avec le ministre de la France d'Outre-Mer Marius Moutet, mais en violation des accords du 6 mars. La conférence de Fontainebleau s'ouvre néanmoins le 22 juin, entre Hô Chi Minh et le gouvernement provisoire présidé par Georges Bidault. Docu 21 Ho Chi Minh finit par signer un accord de « modus vivendi » de façade avant de rentrer, mais chacun sait que les positions respectives des deux parties sont désormais inconciliables. Ho ne peut pas transiger sur l’intégrité territoriale des trois Ky : Cochinchine, Annam et Tonkin. Et la France n’arrive pas à se débarrasser de ses vieux réflexes de puissance coloniale.
* Avant de partir, en juillet, Leclerc n’a pas hésité à dire publiquement : « J'ai recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’État du Viêt Nam, il n'y avait pas d’autre solution. Il ne pouvait être question de reconquérir le Nord par les armes, nous n'en avions pas, et nous n'en aurions jamais les moyens.… Il faut garder le Viêt Nam dans l'Union française, voilà le but, même s'il faut parler d'indépendance. » Vox clamentis in deserto, personne ne l’a écouté...ou presque !
* La rupture était inévitable et fut consommée du côté français par le bombardement du port de Haiphong qui fit de nombreuses victimes (pour d’obscures raisons douanières) le 23 novembre 1946, et du côté vietnamien le 19 décembre 1946 à la nuit tombée par le déclenchement de l'insurrection générale de Hanoï . Il fallut plusieurs semaines d’opérations de guerre pour s’assurer le contrôle de la ville saccagée et de sa banlieue. Il y eut des centaines d’assassinats perpétrés par les Tu Ve et la riposte française ne fut pas tendre non plus. Ho et son régime ont pris le maquis ! Leclerc part sur place en mission en avion le jour de Noël à la demande du gouvernement provisoire dirigé par Léon Blum avec lequel il a eu excellent contact. Il reste sur place une dizaine de jours et revient convaincu que la solution n’est pas militaire, mais politique. Il le dit dans son rapport et dans les couloirs gouvernementaux en rentrant. Vincent Auriol, le nouveau président de la République, lui propose de retourner en Indochine pour remplacer d’Argenlieu, mais il refuse sur les conseils du général de Gaulle –ferme soutien de d’Argenlieu- qu’il est allé voir à Colombey. Et pourtant même Maurice Thorez, le secrétaire général du PCF, a essayé de le convaincre : « Mon général, allez là-bas et tirez-nous de ce merdier ! ». Son refus s’explique aussi par son manque de confiance dans la politique française en Indochine qui n’est pas mûre pour une solution négociée...et on ne peut pas lui donner tort.
3. La guerre d’Indochine (décembre 1946-juillet 1954) : le combat du Tigre et de l’Éléphant
* L’historiographie de la guerre d’Indochine a évidemment évolué au gré des générations, mais les faits restent les faits, et ils ne sont pas marqués par la même charge émotionnelle que ceux de la guerre d’Algérie. Le seul qui avait compris avant tout le monde c’était donc le général Leclerc, dont son fameux « Traitez à tout prix » de 1945-46 ne fut pas entendu ou compris à Paris ou par l’amiral d’Argenlieu, le Haut-Commissaire sur place. Le général Salan qui était son bras droit, partageait pleinement son analyse. Vouloir faire la reconquête méthodique de l’Indochine était impossible car la France exsangue d’après-guerre n’en avait pas les moyens à plus de 10.000 km, avec seulement des jeunes engagés et des troupes coloniales, et face en plus à une forte opposition du PCF, des syndicats et des élites parisiennes.
* On avait juste oublié que même converti au marxisme, l’oncle Ho restait d’abord un lettré et un nationaliste vietnamien. Et comment pour les élites vietnamiennes de tous bords continuer à supporter la férule coloniale ou postcoloniale alors que l’empire d’Annam était aussi vieux que le royaume de France ? C’était donc « chronique d’une mort annoncée » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Garcia Marquez. Notre présence en Indochine fut toujours teintée de racisme, ou à tout le moins d’un complexe de supériorité mal placé qui humilia les élites, tout autant que le peuple vietnamien. Comment accepter qu’à diplôme égal, le Français expatrié soit toujours largement mieux payé et choisi en priorité ? Nous n’avons formé que quelques centaines de médecins, de cadres, de professeurs ou d’ingénieurs vietnamiens, et donc bien mal préparé l’avenir. Même chose pour les officiers contenus dans les grades subalternes jusqu’à la création des FAVN, l’armée vietnamienne.
* Ho connaissait ses classiques : il avait lu le grand stratège chinois Sun Tse, un général chinois du vie siècle av. J.-C. (544-496 av. J.-C.). Il rappela à son comité directeur la tactique du combat du Tigre et de l’éléphant : « Si le tigre se tient immobile, l’éléphant l’écrase. Mais si le Tigre se déplace constamment et saute plusieurs fois sur le dos de l’éléphant, il lui arrache à chaque fois des morceaux de chair. A la fin, l’éléphant se videra de son sang et finira par mourir ». Le message est limpide : dans un 1er temps, la guerre contre les Français doit être une succession de coups de main et d’embuscades, l’ennemi doit être constamment sur ses gardes avec un sentiment permanent d’insécurité. Pour ce faire, Giap a en quelques mois forgé de toutes pièces une armée encadrée par des anciens sous-officiers de tirailleurs, des officiers ou sous-officiers japonais qui n’ont pas voulu rentrer au Japon, voire quelques déserteurs du CEFEO, souvent d’anciens FTP. Elle comprend des unités régulières et des milices mobilisables à tout moment. Docu 22 Giap passe en revue une unité.
* En décembre 46, Ho Chi Minh et Giap prennent donc la responsabilité de la rupture avec les Français et prennent le maquis en Haute-Région. En 47-48, les combats sur le terrain s’équilibrent, une fois à notre avantage, une fois à celle de l’ennemi qui maîtrise parfaitement toutes les techniques de la guérilla. L’opération aéroportée Léa en octobre 47 a failli faire prisonnier tout le gouvernement vietminh qui a eu juste le temps de se camoufler dans la jungle...occasion perdue qui ne se reproduira pas ! Ce qui va changer la donne, c’est la victoire de Mao en Chine en 1949, et l’armée communiste chinoise va pleinement aider la résistance vietnamienne. En quelques mois, elle lui fournira une assistance logistique qui lui permettra de transformer ses unités d’élite en véritable armée régulière.
Le désastre de la RC 4 – on avait décidé d’abandonner la frontière de Chine de Lanson à Cao bang- en octobre 1950 frappera l’opinion française de stupeur, et ce n’était qu’un début. Personne n’avait mesuré la puissance de feu de l’adversaire à sa juste valeur, et il avait préparé une véritable nasse pour les garnisons évacuées. Docu 23 la RC4 On y perd dans une succession d’âpres combats dans une jungle hostile 8 bataillons, dont 2 bataillons paras largués à la rescousse, et les régiments viets menacent désormais le delta et même Hanoi. Docu 24 le 1er BEP dans la nasse de Cao Bang Les généraux Carpentier et Alessandri - les n° 1 et 2 du CEFEO- seront les boucs émissaires de cette défaite et Paris cherche un sauveur...
* L’année de Lattre
* Le 6 décembre 1950, le Conseil des ministres nomme le général de Lattre de Tassigny, Haut-Commissaire de la République et Commandant en chef des forces en Indochine. Le héros de la Libération -patron de la 1ère armée « Rhin et Danube »- a accepté par devoir cette double responsabilité. « Je n'ai pas demandé à venir ici. On m'en a prié » aurait-il déclaré le jour de son arrivée à Saigon, mais, en fait, cet homme d’action s’ennuyait ferme dans un poste de haut commandement de l’OTAN sous l’autorité du maréchal Montgomery. Il est bien décidé à redresser sur tous les plans une situation militaire qui s'est fortement dégradée et à rendre effective l'indépendance du Vietnam sous la souveraineté de Bao Daï, indépendance que la République française a enfin reconnue.
* « Le Roi Jean » s’est constitué une équipe d’anciens de la 1ère armée et il a pris pour le seconder le général Salan et le gouverneur Gautier, ancien bras droit de l’amiral Decoux. Il est décidé à frapper les esprits et a toujours eu le souci de la mise en scène. L'avion d'Air France, qui a décollé d’Orly, le 15 décembre, se pose le 17, sur l'aérodrome de Saigon. Le général de Lattre est accueilli par le général Carpentier, auquel il tourne le dos après l'avoir à peine salué. Docu 25 Il a l’œil mauvais : il est mécontent de la tenue des troupes qui lui rendent les honneurs et il est outré de la pagaille qu'il constate dans les services du Corps expéditionnaire. Il pique une colère froide, bien dans son style. Aussitôt, par une série de décisions radicales, (il renvoie plusieurs officiers supérieurs en France), il entend restaurer la confiance, renouer avec la victoire et amener l'Etat de Bao Daï à s'assumer pleinement.
* C’est, en effet, à l’honneur du général de Lattre d’avoir remplacé en 1951 la croisade franco-française perdue d’avance par le combat fraternel pour la défense du Vietnam libre, tout en laissant les royaumes du Cambodge et du Laos s’émanciper totalement de notre tutelle. On ne parle désormais plus que d’États associés, pour lesquels son a créé un ministère confié à Jean Letourneau. Il y a désormais deux légitimités qui s’affrontent au Vietnam, et cela durera jusqu’en 1975.
Peu après son arrivée à Hanoi, de Lattre réunit tous les officiers de la garnison dans les salons de la maison de France. Devant des colonels et des généraux médusés, il prononce ces mots qui marqueront les mémoires : « Je suis venu pour vous les lieutenants et les capitaines. L'ère des flottements est révolue. Je vous garantis que vous serez désormais commandés. Je vous apporte la guerre, mais aussi la fierté de cette guerre. » ...et parmi ces lieutenants, il y a son fils unique, Bernard.
* Durant toute l’année 1951, le CEFEO va remporter des « victoires à la Pyrrhus » qui étrillent sérieusement le corps de bataille Vietminh, à Vinh Yen en janvier, Dong Trieu en mars et dans le secteur de Phat Diem en mai, le fils du général de Lattre sera tué au cours de l’un de ces combats. Trois offensives pour s’emparer du delta tonkinois et trois échecs pour Giap, nos dinassauts ont joué un rôle essentiel dans des opérations amphibies en support des opérations terrestres. Docu 27 les batailles du Tonkin Giap ne s’avoue pas vaincu pour autant en dépit des lourdes pertes au sein de ses unités qui ne le perturbent guère. Il change de secteur et oriente ses efforts sur le dispositif du nord-ouest afin d'attirer nos réserves mobiles en Haute-Région. Objectif : Nghia Lo, principal verrou Français en marge du pays Thaï. Les combattants de la division 312, la plus aguerrie, lancent début octobre des assauts répétés contre le poste qui résiste grâce au largage de 2 bataillons paras, les « pompiers du Corps expéditionnaire » et à l’aide apportée par des commandos mobiles, comme celui du légendaire adjudant Vandenberghe, composé en partie de soldats viets ralliés.
* De Lattre va faire un voyage triomphal aux Etats-Unis en septembre 51. Le temps où les Américains nous traitaient de colonialistes attardés est révolu ! Ils regrettent d’avoir facilité la prise de pouvoir du Vietminh ! On est en pleine guerre de Corée, et le Vietnam va devenir un pion sue l’échiquier de la Guerre froide en Asie. De Lattre les a convaincus. En 1951-52, les Américains vont livrer en Indochine 130.000 T d’armes et d’équipements divers, 9.000 véhicules, 3.500 appareils radio et 200 avions. Et leur effort continuera sur le même rythme en 1953-54...c’est le début de l’américanisation du conflit. Docu 29 de Lattre couverture du Time
* Sous son « proconsulat », le « Roi Jean » » va créer de toutes pièces une armée vietnamienne sous les ordres du général Hinh -un aviateur- et son quadrillage du terrain dans des zones à peu près pacifiées soulagera grandement le Corps expéditionnaire. Mais une grande partie de la population vietnamienne reste attentiste et le régime de Bao Daï –le dernier empereur remis en selle comme chef de l’état- brille par son apathie et sa corruption à tous les niveaux...alors qu’en face c’est le règne de l’autocritique permanente et de la morale marxiste pure et dure !
Docu 30 et 31 Bao Daï et Hinh
* A la mi-novembre 1951, rompant avec l'attitude défensive observée depuis l'affaire de la RC 4, le général de Lattre, revenue en Indochine à la fin d’octobre très fatigué et miné par un cancer de la hanche, décide de provoquer le Vietminh et de l'attirer dans une bataille autour de Hoa Binh, au cœur du pays muong , position charnière et nœud de communications fluviales (Rivière Noire) et terrestres (RC 6) entre la région du Thanh Hoa au sud du delta, demeurée depuis 1945 entre les mains des viets, et le pays thaï. L'action principale est menée par trois bataillons parachutistes largués sur Hoa Binh et quatre groupements mobiles, deux sous-groupements blindés et deux dinassauts qui convergent par la route et la rivière vers la ville. Le 15 novembre Hoa Binh est occupée et aménagée en camp retranché. La réaction de Giap est immédiate et il rameute presque tous ses régiments réguliers sur le secteur. Il lance dans la bataille trois divisions : 304, 308 et 312 pour couper les communications avec le delta. La bataille de la Rivière Noire commence le 9 décembre et menace de se transformer en bataille d'usure. Docu 32 la division 308
* Miné par le cancer et le chagrin de la perte de son fils, le 20 novembre le général de Lattre a quitté l’Indochine. Il promet de revenir. De retour à Paris, il expose devant le Haut Conseil de l'Union Française, la situation qu'il laisse en Indochine et se veut résolument optimiste et confiant dans l’avenir, mais le 11 janvier 1952 il meurt des suites d’une intervention chirurgicale. L'œuvre entreprise avec une énergie peu commune ne pourra pas être poursuivie avec la même conviction. Il est nommé maréchal de France à titre posthume. Le général Salan qui lui a succédé décide sagement alors d'évacuer le camp retranché d’Hoa Binh le 22 février par une opération surprise contre laquelle les viets n'ont pas le temps de réagir. Salan va rester en poste jusqu’en mai 1953. Il a une connaissance sans pareil du terrain et de l’adversaire. Il décide d’agir dans la prudence.
* Partisan des bases aéroterrestres bien armées et s’appuyant sur des pistes d’aviation, il mène avec succès la bataille de Na San face à un ennemi très supérieur en nombre. Il met également en œuvre une théorie de lutte contre-insurrectionnelle, notamment avec le GCMA , basée sur des partisans autochtones, qu’il a bien connus comme jeune officier. Ils sont soutenus par les populations civiles peu acquises au Vietminh dans les régions montagnardes. Sous son commandement, de nombreux maquis anti-vietminh -avec un encadrement français très réduit- issus des minorités ethniques (Méos, Mans, Thaïs...) verront le jour et menaceront les arrières des divisions Vietminh avec un succès assez remarquable. Ces partisans seront tous abandonnés après Dien Bien Phu, des harkis avant l’heure ! Docu 33 Un commando du GCMA. Après Salan, vint le tour du général Navarre, un brillant stratège d’état-major qui n’avait jamais mis les pieds en Indochine. René Mayer, le président du conseil du moment, l’a choisi car il allait avoir un œil neuf et pour mission rien moins que de trouver une « sortie honorable » à la guerre en laissant de plus en plus l’armée vietnamienne s’investir en nos lieux et places ! En fait, face à la menace de l’invasion du Laos par les divisions de Giap, Navarre va faire comme Salan, une base aéroterrestre.
* Tout se terminera tragiquement à Dien Bien Phu (novembre 53- 7 mai 54). Docu 34 l’opération Castor
* Les bataillons paras, (Bigeard en tête) réoccupent la ville et la vallée de Dien Bien Phu (opération Castor) sans trop de casse, mais on avait oublié le sacro-saint principe tactique Qui tient les hauts tient les bas. L’idée du général Navarre c’était de barrer aux divisions vietminh la route du Laos en créant un « hérisson » tactique sous la forme d’un véritable camp retranché. Cela avait déjà marché à Na San pour contrecarrer le corps de bataille de Giap à la fin de 1952 car Hanoï était proche et le terrain plus favorable, mais Dien Bien Phu était en pays thaï à 300 km dans la jungle et la moyenne montagne, ce qui limitait l’action de nos chasseurs-bombardiers. Surtout cela supposait que l’artillerie lourde vietminh n’ait pas accès aux collines qui surplombaient la cuvette, et pourtant ce fut le cas grâce aux efforts surhumains d’une armée de porteurs réquisitionnés.
* L’attaque du camp retranché débuta à la mi-mars 54 et les combats furent acharnés. Très vite, la piste d’aviation devint inutilisable. Les adversaires firent preuve des deux côtés d’un grand courage et de beaucoup d’abnégation : les bataillons paras parachutés pour aider la garnison assiégée n’ont fait que retarder l’échéance. Tous les prisonniers (y compris les blessés « légers », selon les critères établis par le Vietminh) devront marcher à travers jungles et montagnes sur une distance de 700 km, pour rejoindre les camps, situés aux confins de la frontière chinoise. D'après l’écrivain militaire, Erwan Bergot, sur les 11.720 soldats de l'Union française, valides ou blessés, capturés par le Vietminh à la chute du camp, 3.290 seulement furent libérés et 8.430 sont morts en captivité.... 70% de nos prisonniers et ce, en moins de 4 mois !
Pendant ces quatre mois de captivité et d’horreur, les deux tiers d’entre nous sont morts. Partis à douze mille, nous reviendrons à moins de quatre mille. Ça, c’est impardonnable. Il aurait suffi qu’on donne à ces hommes une seule banane par jour, et on aurait ramené presque tout le monde. Certains d’entre nous ne sont plus des hommes. A peine des cadavres ambulants. Marcel Bigeard dans son dernier livre écrit à 90 ans.
Il n’a jamais été question –comme ce fut le cas en Algérie- d’envoyer en Indochine le contingent et on y a sacrifié la fine fleur de notre jeunesse et de notre armée (une bonne douzaine de bataillons paras, autant de la Légion étrangère, et plusieurs promotions de Saint-Cyr), et ce en pure perte. Beaucoup d’héroïsme pour rien ! De toute façon, la guerre était ingagnable : dans tous les états-majors, on affichait une « carte vérole » : en blanc les villages contrôlés par les Français, en rouge ceux par l’ennemi qui étaient de loin les plus nombreux !! Et il y avait des provinces entières complétement aux mains du Vietminh. La chute de Dien Bien Phu sonne le glas de notre présence en Indochine. En moyenne, le Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient avait compté 260.000 hommes. Le nombre de morts pour la France s’élève à 83.300 répartis ainsi : -29.000 soldats métropolitains -11.600 légionnaires -15.200 Africains et Nord-Africains -27.500 Indochinois. Dans l’autre camp et dans la population civile, on peut évaluer le coût humain à plus de 400.000 victimes.
4. De la conférence de Genève à la guerre américaine (1954-1964)
* Le gouvernement de Pierre Mendès-France décide de mettre un terme au conflit en profitant de la conférence internationale de Genève normalement prévue pour régler le conflit en Corée et évoquer le devenir de l’Indochine. Elle réunit 19 nations qui représentent tous les pays qui comptent dans le cadre de l’ONU. Docu 38 La paix est signée le 21 juillet 1954 entre la France et la RDVN, le nom officiel de l’état communiste créé par le Vietminh. Chou Enlai, au nom de la Chine communiste a facilité la négociation. Mais les conflits internes au Laos et au Cambodge entre communistes (Pathet Lao et futurs Khmers rouges) et nationalistes ne sont pas réglés en même temps que la question vietnamienne...ils dégénèreront en guerre civile. Fait plus grave encore, les États-Unis et la république du sud-Vietnam refusent d’entériner l’accord qui prévoit la partition du Vietnam à la hauteur du 17ème parallèle. Un referendum est prévu en juillet 1956 pour réunifier le pays, mais le régime de Saigon fera tout pour le torpiller. A cette date, le président Eisenhower expliquait en petit comité - pour des raisons économiques et géostratégiques- qu’il encourageait leurs protégés sud-vietnamiens au refus du processus électoral prévu par les accords de Genève qui entraînerait la victoire écrasante (80 %) des communistes.
Docu 39 la nouvelle carte de l’Indochine.
* Bao Daï va faire appel à un homme providentiel pour sauver son régime, il s’appelle Ngo Dinh Diem. . Diem est issu d’une grande famille mandarinale installée à Hué, le siège du pouvoir impérial vietnamien. Son père, Ngo Dinh Kha exerçait de hautes fonctions à la Cour. L’une des spécificités de cette famille aristocratique des Ngo Dinh est d’être depuis des siècles de religion catholique, tout en ayant avec beaucoup d’habileté échappé aux persécutions meurtrières contre les missionnaires catholiques et leurs ouailles, habileté qui leur a permis de se maintenir au service de la mouvance impériale pétrie d’idéaux confucéens.
* Ngo Dinh Diem fit des études solides de droit et d’administration, et il gravit ensuite brillamment les échelons de l’administration impériale. Ses qualités seront très vite remarquées par la Cour et par le pouvoir colonial, ce qui explique sa nomination au ministère de l’Intérieur en 1933, quand il a tout juste trente-deux ans. Il ne va pas le rester longtemps car sa soif de réformes et son indépendance d’esprit, si elles plaisent au jeune empereur Bao Daï, déplaisent fortement aux autorités coloniales qui l’obligent à démissionner, prouvant une fois de plus que l’autonomie de l’Annam n’est qu’une fiction. En se retirant, il n’hésitera pas à accuser l’empereur d’être un jouet dans les mains du Gouverneur général de l’Indochine. De toute manière, ils ne pouvaient pas s’entendre car Bao Daï était un jouisseur impénitent, et Diem un ascète intransigeant, confit dans sa dévotion religieuse qui mènera toujours une vie quasi monacale.
* Il commence alors sa traversée du désert qui va durer vingt ans. Durant la Révolution d’août 1945, Diem refuse le poste de ministre que lui propose le nouveau régime qui joue –provisoirement- la carte de l’unité nationale, d’autant plus que son frère aîné a été assassiné par le Vietminh. Il assiste en observateur distant au retour de la France en Indochine qui vaut mieux, malgré tout, qu’un Vietnam aux mains de l’appareil communiste qu’il abhorre. Il part plusieurs années vivre aux États-Unis. Nommé 1er ministre par un Bao Dai très amorphe en juin 1954, il refuse d’emblée la partition dont il rend les Français responsables, et ne signe pas les accords de Genève. Il ne prendra pas la main tendue du général Ély, notre dernier Haut-commissaire, qui est pourtant un homme de conciliation d’une haute vertu morale. Il ne voit déjà que par les Américains et la logique de la Guerre froide. Il commence par épurer les cadres de l’armée vietnamienne jugés trop francophiles, et se débarrasse ensuite avec habileté des sectes mafieuses qui gangrénaient la société vietnamienne depuis des lustres. Docu 40 Portrait de Diem Ensuite, il proclama par référendum la déchéance de Bao Daï en octobre 1955, et il est intronisé président de la toute nouvelle République du Vietnam. Il veut rompre tout lien avec la France : en avril 1956, les derniers militaires français quittent Saigon et sont remplacés par des conseillers américains. Une nouvelle guerre les attend en Algérie...
Docu 41 l0 avril 56 les adieux aux paras vietnamiens du général Jacquot
* Diem établit un régime autocratique et dictatorial, dont il confie les plus hauts postes à sa propre famille. Le véritable « triumvirat » des frères Ngo Dinh, dont l’archevêque de Hué Ngo Dinh Thuc, durant la présidence de Diem, a fait, en effet, crier au népotisme familial les opposants du régime, en particulier les bouddhistes et les anciens militants du Vietminh devenus militants du Viêt-Cong qui passent dans la clandestinité et vont créer les premiers maquis combattus par l’armée sud-vietnamienne encadrée par des « conseillers » américains. Diem fait emprisonner et tuer des centaines de bouddhistes qu'il accuse d'encourager les communistes. Face à de telles mesures, les États-Unis finissent par lui retirer leur soutien. Abandonné par Kennedy, Diem est alors renversé et assassiné le 2 novembre 1963 avec son frère Nhu –l’idéologue du clan- par la soldatesque aux ordres des généraux menés par Duong Van Minh. L’ambassadeur américain Cabot Lodge avait laissé faire, et l’armée américaine n’allait pas tarder à en payer le prix fort…
* C'est bien sous la présidence de Kennedy que les forces américaines au sud Viêt-Nam sont passées de 1.200 soldats, au début de 1962, à 15.400, au milieu de l'année 1963...un engrenage fatal ! Il s’agit toujours d’encadrer les Vietnamiens, mais bientôt l’armée américaine va prendre le relais du combat en « direct ». En 1964, le pouvoir politique est déliquescent au Vietnam : 5 tentatives de coups d’état militaire et 7 gouvernements dans l’année ! Les militaires resteront au pouvoir jusqu’en 1975, les civils faisant de la figuration. Naturellement le Viêt-Cong en profite pour étendre de plus en plus son influence dans les campagnes avec l’aide –discrète au début- de l’armée nord-vietnamienne, via la « piste Ho Chi Minh » qui passait par le Laos. L’objectif est clair dès le début : la réunification sous la férule d’Hanoï. Les incidents du golfe du Tonkin survenus les 2 et 4 août 1964 vont précipiter la guerre, mais ce ne fut qu’un prétexte des deux côtés : deux torpilleurs nord-vietnamiens et deux destroyers américains ont...ou auraient échangé des tirs de canons, mais sans conséquence pour les navires. En représailles, le président Johnson fit bombarder les installations côtières du Nord...sans le dire ouvertement, les États-Unis et la RDVN sont désormais en guerre.
5. L’engagement américain au Vietnam : un échec cuisant (1965-1973)
* En février 1965, des militants Viêtcong attaquent la base américaine de Danang, tout près du 17ème parallèle. Le 7 mars, Johnson réagit et ordonne le déploiement terrestre d'une brigade de 3.500 Marines en vue de protéger la base. Il autorisa l’usage du napalm qui fut utilisé systématiquement durant la guerre, sans tenir compte de la population civile. Docu 42 Lyndon B. Johnson franchit une nouvelle étape le 13 du même mois en ordonnant des raids aériens plus étendus sur le Nord. Cette opération dura 38 mois et déversa un demi-million de tonnes de bombes sur le nord-Vietnam. Le président Johnson –très « va-t-en-guerre » choisit comme commandant-en-chef au Vietnam, un officier brillant et énergique, William Westmoreland qui a –entre autres- commandé la prestigieuse 101ème division aéroportée et l’académie militaire de West Point. Docu 43 Il va rester sur place durant quatre années –un vrai bail- pour y conduire la bataille de manière très volontariste. Westmoreland est accueilli comme celui qui peut mettre à genoux le Viêt Nam du Nord. Les 20.000 conseillers américains de 1964 seront devenus en 1968 une véritable armée d’un demi-million de soldats ! Il a contribué en demandant constamment de nouveaux renforts à une véritable escalade, en sollicitant aussi l’aide des alliés de l’OTASE ((Australie, Corée du Sud, Thaïlande, Philippines) il n’a pas hésité à internationaliser le conflit. Pour quel résultat ? Un commentateur dira un peu méchamment que Westmoreland était un émule du roi Pyrrhus : « Sous sa conduite, les États-Unis « ont gagné chaque bataille jusqu'à ce qu'ils aient perdu la guerre ». Du côté vietnamien, le général Nguyen Van Thieu, porté au pouvoir par la junte militaire en juin 1965, fut assez habile et dénué de scrupules pour y rester jusqu’à la fin en avril 1975 en étant un intermédiaire docile des Américains dans une ambiance de corruption généralisée.
* Les G.I. sont alors engagés dans la bataille terrestre au Sud dans une mission offensive de « recherche et destruction » (search and destroy) afin d'écraser la rébellion. De vastes régions du Sud-Viêt Nam furent déclarées Free fire zone, c'est-à-dire que tous ceux qui y demeuraient étaient considérés comme des ennemis...et tirés à vue. Les bombardements étaient permanents. On se battait partout, aucune province n’a été épargnée. Les villages soupçonnés d'accueillir des insurgés du FNL étaient brûlés au napalm. L’armée vietnamienne ne faisait qu’accompagner les troupes américaines en ayant perdu la plupart du temps la direction des opérations pour la plupart héliportées : les « voilures tournantes » ont été omniprésentes durant toute la guerre du Vietnam. Docu 45 Une guerre héliportée
* L’offensive du Têt en Javier 1968 marqua le tournant de la guerre. Ce fut le plus gros coup de dés de Giap depuis Dien Bien Phu. Il a démontré que la manœuvre la plus magistrale qu’il ait conçue et des attaques généralisées des points d’appui tenus par les Américains et les sud-Vietnamiens ne suffisaient pas à emporter la décision. Docu 46 carte de l’offensive du Têt et 47 Giap à la maturité. Mais les Américains ont été « sonnés » et l’opinion publique américaine commença à contester de plus en plus l’engagement au Vietnam. . Du point de vue militaire, cette offensive, la première guerre ouverte à grande échelle des communistes, fut un échec. Face à la puissance de feu américaine, les 200.0000 bo-dois de l’armée nord-vietnamienne furent décimés, et il leur fallut deux ans pour reconstituer leurs forces. Sans le dire ouvertement, le régime communiste imputa à Giap une mauvaise analyse de la situation. Les Viêt-Cong perdirent 50.000 combattants et les effectifs du FNL ne retrouvèrent leur niveau d'avant l'offensive que dans le courant de l'année 1970 grâce au renfort d'unités régulières du Nord et il ne joua plus de rôle déterminant dans le conflit. Il n’empêche que le fait d’avoir occupé Hué et tous les faubourgs de Saigon pendant un bon mois avaient prouvé leur détermination. Les deux camps se livrèrent durant l’offensive du Têt à des crimes et des exécutions en série. Les combats se déroulèrent autant en milieu urbain que dans les campagnes.
* Lyndon Johnson est déprimé et dégoûté de l’évolution des événements. Le 9 juin le président Johnson remplace Westmoreland par le général Creighton W. Abrams, avec mission de préparer graduellement le désengagement américain. Bien que Westmoreland soit nommé Army Chief of Staff, nombreux sont ceux qui voient son limogeage comme une punition pour la débâcle du Têt. La nouvelle stratégie d'Abrams fut rapidement mise en œuvre avec la fermeture de la base « stratégique » de Khe Sanh et la fin des opérations search and destroy Disparut également la prétention d’une victoire contre le Nord-Viêt Nam. La nouvelle doctrine d'Abrams se concentre sur le transfert du combat aux Sud-Vietnamiens (au moyen de la vietnamisation, même démarche que les Français des années 50). On vise la pacification progressive du pays et la destruction de la logistique communiste...sans se faire trop d’illusions. Les Viêt-Cong étaient passés maîtres dans l’art du camouflage souterrain. La nouvelle administration du président Richard Nixon allait à partir de janvier 1969 commencer à superviser le retrait accéléré des forces américaines et entamer de véritables négociations.
* Sur les campus de Californie ou de Boston, et bientôt de tout le monde occidental, la contestation monte en flèche. Le pacifisme devient un relais d’opinion essentiel et les désertions se font plus nombreuses... La révélation en novembre 1969 du massacre de My Lai n'arrange pas les choses. Nixon ordonna, le 29 avril 1970, une incursion militaire au Cambodge par des troupes américaines et sud-vietnamiennes, afin de détruire les refuges du FNL bordant le Viêt Nam du Sud. Cela va relancer à la guerre civile au Cambodge entre pro-Américains (général Long-Nol) et communistes (Khmers rouges de Pol Pot). Connaissant la médiocrité des troupes de l'armée de la RVN, le retrait progressif des troupes américaines, la puissance du mouvement pacifiste aux États-Unis qui interdit tout retour de ses troupes, la RDVN organise une offensive massive contre la RVN en mars 1972. Alors que les dernières unités combattantes américaines quittent le Viêt Nam le 23 août 1972, cette première offensive à la frontière des deux états durera de mars à octobre 1972. Après la panique initiale, les unités de l'armée de la RVN se ressaisissent, se regroupent et contre-attaquent. Elles ralentissent puis arrêtent l'invasion nordiste. Aidées d'un important appui aérien américain, elles repousseront ensuite les nordistes entre juin et octobre. C’est la seule vraie victoire des sud-Vietnamiens, grâce -il est vrai- à cet appui-feu efficace des aviateurs américains.
* D’avril à octobre, l'US Air Force est autorisée à bombarder la RDVN afin de la forcer à négocier. Ho est mort le 2 septembre 1969, mais le bureau politique du parti unique garde la même fermeté face à l’envahisseur. Giap devenu ministre de la Défense n’assure plus le commandant direct sut le terrain. Après une ultime campagne de bombardement stratégique sur les villes nord-vietnamiennes en décembre 1972 menée pour inciter le Nord-Viêtnam à accepter de traiter, les accords de paix de Paris seront finalement signés en janvier 1973 par Henri Kissinger et Le Duc Tho. Les Américains ne laissent à Saigon que quelques centaines de « conseillers » avec interdiction de se mêler des opérations militaires. Cependant, la paix n'est toujours pas garantie et le nouveau général nordiste prépare l'offensive finale qui vaincra la RVN. Ainsi, malgré le traité de paix, les attentats et les embuscades continuent.
* La guerre va se poursuivre entre Vietnamiens jusqu'à la chute de Saigon, deux ans plus tard, le 30 avril 1975, après une ultime offensive du nord qui a d’abord coupé en deux le sud-Vietnam, occupé Hué et foncé sur Saigon. Docu 50 30 Avril 75: les 1ers chars avec le drapeau du FNL enfoncent les grilles du palais présidentiel à Saigon L’armée sud-vietnamienne s’est littéralement désagrégée, sauf quelques unités d’élite qui ont ralenti l’inévitable échéance à Xuan Loc, un carrefour routier essentiel au nord de Saigon. Thieu a fui, ainsi que les cadres civils et militaires les plus compromis avec les Américains qui les ont évacués en catastrophe. C’est Duong Van Minh rappelé au pouvoir qui signera la reddition du Sud. Au même moment, après la prise de Phnom Penh, les Khmers rouges ont commencé à perpétrer un véritable génocide contre leur propre peuple. En 1978, les Vietnamiens invoqueront des raisons humanitaires pour envahir le Cambodge. Le 7 janvier 1979, ils entrent à Phnom Penh cependant que Pol Pot et les Khmers rouges reprennent le chemin de la clandestinité et des maquis.
* Un bilan désastreux ! La guerre du Vietnam fut la première très largement médiatisée sans véritable censure. Deux photos célébrissimes résument les horreurs de la guerre. La 1ère est celle de l’exécution en direct par le général Nguyen Ngoc Loan, chef de la police de Saigon, d’un militant important du Viêt-Cong (coupable d’une quarantaine d’assassinats) lors de l’offensive du Têt en janvier 68. La scène se déroula devant des journalistes, et un photographe d'Associated Press, Eddie Adams. La photo prise par ce dernier contribua fortement à faire changer l’opinion publique américaine sur l'intervention militaire de leur pays au Viêt Nam. .La photo de la jeune Phan Thị Kim Phúc, neuf ans, prise sur la route de Trang Bang en 1972, alors que l'enfant fuyait nue une zone bombardée au napalm, rapporta à Nick Ut, lui aussi de Associated Press, le prix Pulitzer : elle eut aussi un grand retentissement. Docus 51 et 52 Les Américains déplorent dans les combats 58.000 morts et 300.000 blessés ; de plus, bon nombre de GI reviendront traumatisés et accrocs à la drogue. La guerre laissera un bilan accablant du côté vietnamien : les Vietnamiens, quant à eux, auraient perdu un total de 3,8 millions de civils et militaires selon Robert McNamara, soit près de 8 % de leur population, et ce dans les deux camps. À quoi s'ajoutent les blessés, les mutilés et les victimes du napalm et de l'« agent orange »
* Divisé depuis 1954, le Viêt-Nam est réunifié de la frontière de Chine à la pointe de Camau le 2 juillet 1976 pour créer la république socialiste du Viêt Nam. Saigon est renommée Hô Chi Minh-Ville en l'honneur du père de l’indépendance. De 1975 à 1982, 65.000 personnes seront exécutées au Viêt Nam et plus d'un million seront envoyées plusieurs années en « camps de rééducation ». Aujourd’hui, le régime communiste est toujours solidement accroché au pouvoir, mais, comme chez son puissant voisin chinois, il a découvert les vertus de l’économie capitaliste et du tourisme, et la population a vu son niveau de vie nettement augmenter... Docu 53 Elle garde des contacts familiaux avec la diaspora vietnamienne, nombreuse en France et aux Etats-Unis, et l’Église catholique est largement tolérée, mais les libertés individuelles restent étroitement contrôlées... ce n’est pas une démocratie ! Par ailleurs, les rapports du Vietnam avec la Chine restent conflictuels (souveraineté des îles de la mer de Chine), mais sont apaisés avec les États-Unis et la France qui a presque disparu du paysage, même si le Vietnam fait partie de l’organisation internationale de la Francophonie.
L’ESPACE FRANCOPHONE